Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/605

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Dès que ma mère eut prononcé ces dernières paroles, je me jetai à son cou malgré le mouvement de sa voiture. Ah ! m’écriai-je en fondant en larmes, est-il possible, ma chère mère ? Quel ravissement pour moi ! comment puis-je reconnaître tant de bontés ? Vous allez me faire mourir de joie. Silence, petite fille ; calme tes transports, n’en dis rien à personne ; mais raconte-moi ce qui a diminué ta tristesse depuis hier, car je te trouve bien tranquille. Je lui fis alors un détail succinct de l’histoire de la religieuse que j’aimais. En vérité, voilà une aimable personne, dit madame de Miran ; je lui ai beaucoup d’obligation d’avoir su trouver le moyen de te consoler.

En achevant ces mots, nous arrivâmes chez madame Dorsin, où il y avait une nombreuse compagnie, dans laquelle je distinguai l’officier dont je vous ai parlé, et qui joua auprès de moi le personnage le plus galant pendant tout le temps que nous fûmes chez cette dame.

Dès que madame Dorsin m’eut aperçue, elle vint m’embrasser. Bonjour, Marianne, me dit-elle. Eh ! comment avez-vous passé la nuit ? Assez mal, madame, répondis-je ; mais je suis beaucoup mieux présentement. Il me le paraît ainsi ; tant mieux, j’en suis ravie. Alors me tirant dans l’embrasure d’une croisée : Votre mère, me dit-elle, ne vous a-t-elle rien appris ? Non, madame, non. Eh bien ! ce soir nous souperons ensemble chez elle ; nous serons seules, et nous parlerons de vos affaires.

On vint avertir que le dîner était servi. Ma mélancolie se dissipa pendant le repas ; la conversation fut relevée par des discours si nobles, que je fis trêve avec tous mes déplaisirs. Je parlai peu ; mais le peu que je dis fut écouté et applaudi. Le gentilhomme, je veux dire l’officier en question, qui s’était placé à ma gauche, eut pour moi des attentions infinies ; j’avouerai même que ces attentions-là ne me déplurent point. Il brilla infiniment dans les entretiens que l’on eut sur divers sujets. Je sentais que mon petit cœur s’applaudissait et lui disait : Oh ! monsieur, vous avez bien de l’esprit. Ma vanité, eh ! oui, madame, ma vanité en fut