Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/606

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flattée ; mon amour-propre y prit garde, et s’en félicita. Quoi ! Marianne, pensais-je, cette petite fille si méprisable, avoir captivé un homme si rempli de mérite ! un homme de qualité, riche, bien fait ! Oui. Posséder toute l’estime et la bienveillance de cet homme-là, n’est-ce pas une victoire bien complète, un triomphe tout à fait glorieux ? Que dois-je donc espérer dans la suite ? Mes chagrins, oh ! oui, mes chagrins se dissiperont ; j’envisage un bonheur parfait.

Ce faible raisonnement, tout puéril qu’il était, me fit impression ; que dis-je, impression ? ce n’est pas assez ; il me mena fort loin, et je me trouvai dans un moment si favorable pour lui, que si madame de Miran, ma mère, m’avait dit alors : Optez, ma fille, entre mon fils et ce galant homme, je crois en bonne foi, oui, je suis presque certaine que j’aurais imité M. de Valville en devenant infidèle. Jugez après cela, madame, si on peut compter sur soi, et assurer que son cœur sera toujours attaché au même objet. Il est vrai que ma bonne volonté intérieure s’en tint là, de sorte que, mon admiration pour l’officier s’étant aussi évanouie, mes idées se renouvelèrent tout à coup pour M. de Valville ; et ces idées-là me causèrent encore bien des chagrins.

Le soir nous allâmes chez ma mère, qui, en présence de madame Dorsin, me mit en possession du riche appartement qu’elle m’avait montré, et dont je vous ai parlé ; jugez de mon excessive joie. Son portrait y était encore, autre redoublement de plaisir. Mais finissons tous mes transports, parlons de M. de Valville et de sa nouvelle maîtresse. C’est madame Dorsin que vous allez entendre ; écoutez-la, s’il vous plaît, elle me vaut bien ; oui, assurément ; elle ne vous ennuiera pas, je vous le promets ; eh bien ! elle va parler.

Marianne, me dit-elle amicalement, il vous souvient sans doute de la commission que madame de Miran me donna hier, après que le laquais eut apporté la lettre de mademoiselle Varthon. Eh ! oui, madame, répondis-je ; cette aventure-là n’échappera pas sitôt à ma mémoire ; elle a pensé me donner la mort. Je me trouvai, après que vous m’eûtes quittée, dans un anéantissement si cruel, que toutes les