Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dissimulation et d’hypocrisie, outre qu’elle donne de furieux soupçons contre sa sagesse et sa vertu, c’est qu’elle croit que tout le monde lui ressemble.

Eh ! que voulez-vous dire, madame ? s’écria-t-elle comme une furie. Est-ce que j’en ai imposé à quelqu’un ? M. de Valville m’aime, il dit qu’il veut m’épouser ; je le crois, et puis voilà tout. Est-ce être hypocrite que de supplanter une petite fille inconnue, qui n’a ni bien ni naissance ?

Tout doux, dis-je, ma belle demoiselle ; vous vous oubliez excessivement. Cette petite fille, que vous dites être sans bien et sans naissance, vous vaut bien à tous égards. Que lui avez-vous promis à cette petite fille (puisqu’il vous plaît de la traiter ainsi) ? Votre conscience ne vous reproche-t-elle rien à son sujet ? Ah ! que dis-je ? je me trompe. Eh bien ! mademoiselle, vous êtes la plus sincère du monde ; l’étalage de fierté et de noblesse d’âme que vous avez fait à madame de Miran en sa présence est bien fondé ; non, ce n’est point une fourberie ni un jeu pour duper cette vertueuse dame. Il est vrai, je me souviens que vous la priâtes seulement de défendre à son fils d’aller vous voir au couvent ; mais vous ne promîtes pas de ne point lui donner de rendez-vous chez madame de Kilnare. Qu’appelez-vous donc rendez-vous ? répondit-elle avec un désespoir qui était peint sur son visage, et cela sans ajouter le nom de madame. Suis-je capable de pareilles démarches ? Une fille de ma façon agit-elle de cette manière-là ? N’est-ce pas vouloir, de gaîté de cœur, empoisonner mes actions, que de me supposer une pareille conduite ?

Eh mais ! répondis-je, ma fille, j’empoisonne votre conduite ? je crois que vous rêvez. Une lettre que vous avez reçue hier matin de monsieur ne vous a-t-elle pas inspiré de venir dîner ici ? ne saviez-vous pas que monsieur s’y trouverait ? J’étais alors au parloir avec madame de Miran et mademoiselle Marianne ; nous entendîmes tout ; oseriez-vous nier ce fait ? Cependant vous vous oubliez assez pour me traiter de calomniatrice ; en vérité, vous n’y songez pas. Alors, voyant que les larmes la suffoquaient, je crus qu’il