Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/609

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était de la prudence de ne pas pousser la conversation plus loin ; je la voyais rendue, et mortifiée au possible. Valville était dans un désordre inconcevable ; il ouvrait à chaque moment la bouche, et ne disait rien. À la fin il articula quelques paroles sans ordre : Mais, mon Dieu ! madame, cela n’est pas ; et puis après, quel mal y a-t-il ? Ensuite : Non, jamais cela n’a été, et autres semblables propos.

Madame de Kilnare entra dans ce moment ; la défaite de ces deux personnes la jeta dans une grande surprise. Eh ! mon Dieu, madame, qu’est-ce que tout ceci ? Il me semble que votre présence cause à monsieur et à mademoiselle un furieux embarras. Eh ! pourquoi donc ? Dites-m’en, je vous supplie, la raison ? Ce n’est rien, madame, lui dis-je ; ce petit contre-temps ne gâtera point les affaires. M. de Valville est devenu amoureux de cette jeune demoiselle contre la volonté de sa mère, qui, par pure complaisance pour lui, après bien des persécutions, avait consenti à son mariage avec une très aimable personne, que madame de Miran chérit actuellement avec l’affection la plus tendre à cause de sa vertu et de son mérite. L’hymen se devait conclure dans fort peu de temps ; tout était arrêté et terminé ; mais ce violent amour s’est éteint tout à coup depuis environ huit jours, ou, pour mieux dire, s’est transplanté chez mademoiselle, qui, quoique très amie de cette fille, la trompe et la trahit. Pendant qu’elle promet et jure devant elle et madame de Miran qu’elle ne verra plus monsieur, qu’elle prie cette dame de défendre à son fils de ne lui plus rendre de visite, elle donne dès le lendemain à cet amant un rendez-vous dans votre maison. En un mot, Marianne, je la mis au fait des intrigues et du procédé de cette petite personne.

Madame de Kilnare, qui a du mérite et de la vertu, parut outrée qu’on lui manquât ainsi ; son visage s’enflamma, tout à coup. ; ses yeux parurent dans un instant tout en feu. Mademoiselle Varthon, dit-elle, vous en agissez bien mal avec moi, et encore plus mal avec vous-même. Non, assurément, je ne me serais jamais attendue à un pareil écart ; je vous croyais sage, prudente et remplie de bons sentiments ;