Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/610

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vous m’avez furieusement trompée. Ainsi, mademoiselle, je vous prie, une fois pour toutes, de ne plus choisir ma maison pour cacher vos intrigues, pour y jouer des personnes d’honneur et de la première distinction. Je veux bien croire que vous ètes plus imprudente que vous n’êtes maligne ; mais comme vos démarches sont tout à fait indignes d’une fille bien née, je me crois obligée d’en avertir madame votre mère. Qu’on mette, s’écria-t-elle tout de suite, les chevaux au carrosse, pour conduire mademoiselle dans son couvent. Ensuite s’adressant à M. de Valville, qui gardait un morne silence et paraissait enseveli dans une noire tristesse : Monsieur, je n’ai rien à vous dire, sinon que je m’étonne qu’un jeune homme aussi rangé qu’on dit que vous êtes, qui avez le bonheur de posséder la plus estimable de toutes les mères, ayez si peu de reconnaissance pour elle, et que vous puissiez lui causer de tels chagrins. Je vous supplie de ne plus l’outrager par vos furtives amours : j’ai de la considération pour vous, mais infiniment plus pour madame de Miran ; elle aurait lieu de me vouloir du mal, et je pense qu’elle aurait raison, si je tolérais votre désobéissance, en fournissant ma maison pour entretenir une passion qui n’est point de son goût.

M. de Valville nous salua aussitôt assez froidement, et sortit comme un homme tout à fait anéanti. J’ai appris, une heure après, qu’il était retourné à Versailles, d’où il ne reviendra de longtemps ; il y a du moins toute apparence. Madame de Miran, que j’informai hier au soir du détail de ma visite, se détermina à vous tirer du couvent pour vous prendre chez elle. Vous devez croire, Marianne, que je fus ravie de cette généreuse résolution, et que je l’appuyai de tout mon pouvoir. Ainsi vous resterez ici présentement, nous nous verrons souvent, et j’espère que ceci tournera en bien ; oui, j’en suis presque certaine ; consolez-vous donc entièrement. Si votre rivale vous causa hier une excessive douleur, elle l’a payée chèrement ; vous êtes bien vengée.

Que trop, madame, répondis-je en pleurant. Eh ! petite fille, dit madame de Miran comme en colère, que signifient