Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/612

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t-elle ? Ah ! ma chère mère, je ne puis y penser sans frémir ; moi perdre votre amitié ! Vous ne pourrez résister à ses prières, et ses prières tendront toutes à vous obliger à m’abandonner. Il m’est infidèle, je l’avoue ; mais croira-t-il que cette infidélité doive me faire révolter contre lui ? Non, ma mère ; il se persuade que je ne dois point sortir des bornes que la raison me prescrit, et que cette raison m’obligeait à ne point élever mes vues jusqu’à un hymen si supérieur à mon état ; que je devais enfin tolérer sa tendresse, et ne point me plaindre de son inconstance. Je l’ai aimée, il est vrai, dira-t-il, c’était un honneur infini pour elle ; je ne l’aime plus, elle doit se rabaisser à sa première condition, et ne point murmurer de mon changement.

Ah ! ma chère fille, répondit madame de Miran en s’essuyant les yeux qu’elle avait tout mouillés de larmes, peux-tu avoir de pareilles idées de ta mère ? Non, non, ma fille, ne crains point sur cette article-là. Je te promets, oui, je te jure que tu seras toujours ma fille pendant toute ma vie.

J’avoue, dit alors madame Dorsin, que cette enfant me charme et m’afflige ; je ne puis la blâmer ; il y a beaucoup de raison et de jugement dans ces idées-là. Je vous crois, madame, ajouta-t-elle en s’adressant à ma mère, incapable d’une telle faiblesse ; votre vertu, votre sincérité ne me permettent point d’en douter ; cependant je ne répondrais point de tout autre en pareil cas. Oui, consolez-vous, Marianne : vous avez une mère à l’épreuve de cette inconstance ; en tout cas vous serez alors ma fille, je vous l’ai promis, et je vous tiendrai parole. Mais je crains bien que vous ne soyez jamais ma fille pendant la vie de madame ; elle vous aime trop pour vous céder à une autre.

Il se fait tard, madame, dit-elle enfin. Adieu, nous nous verrons demain ; vous m’avez priée de vous accompagner pour aller au couvent chercher les hardes de Marianne ; sera-ce le matin ? Oui, répond ma mère ; nous dînerons ici toutes trois.

Madame Dorsin étant partie, ma mère eut la bonté de me conduire dans l’appartement qu’elle m’avait donné ; je lui