Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/613

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sautai au cou de ravissement en lui souhaitant le bonsoir. Elle ne voulut jamais permettre que je l’accompagnasse dans le sien. Je dormis peu cette nuit ; je n’étais ni triste ni gaie ; le chagrin qu’avait essuyé Valville ne m’inquiéta point du tout. J’avais donné des preuves de ma générosité à son égard ; cette seule idée me fit quelque plaisir : je crois même que sa petite catastrophe me causa un moment de joie ; car j’étais fille, et une fille se réjouit volontiers quand on venge son cœur méprisé.

Environ vers les dix heures du matin, madame Dorsin arriva, et nous partîmes aussitôt pour le couvent.

Je laissai ma mère et cette dame avec l’abbesse, pour aller dans ma chambre arranger mes petits effets. À peine y entrais-je, que la religieuse mon amie vint m’y trouver. Eh ! bonjour, chère fille ; est-il donc vrai, me dit-elle les larmes aux yeux, que vous nous quittez ? Mon Dieu ! que j’en suis triste ! Que vais-je devenir ? Vous étiez toute ma consolation ; rien ne me plaisait ici que votre compagnie, et j’en serai privée pour toujours.

Non, ma révérende mère, lui répondis-je en l’embrassant avec tendresse, non, je n’oublierai de ma vie les marques sincères que vous m’avez données de votre amitié ; je viendrai vous voir souvent ; je tâcherai de soulager vos ennuis par des soins assidus, et qui ne finiront qu’avec mes jours. Mais, ma chère amie, je n’ai qu’une heure à rester ici ; ma mère et madame Dorsin m’attendent. Eh bien ! dit-elle avec vivacité, vos promesses me consolent ; je vais vous aider. Fermons votre porte, et ne répondez à personne ; j’ai quelque chose à vous communiquer pendant que nous nous occuperons à plier vos hardes, et ce quelque chose-là vous fera peut-être plaisir.

Savez-vous, continua-t-elle, où la Varthon alla avant-hier ? Eh oui, je le sais, répondis-je ; pourquoi me faites-vous cette question ? C’est, reprit-elle, que je suis instruite que dans quatre jours elle doit partir pour l’Angleterre avec un jeune cavalier qui lui a promis de l’épouser. Une de nos mères, qui est sa confidente, l’a assuré à la sœur converse qui vous