Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/617

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du sujet qui l’amenait, et vous penserez comme il faut de ce galant homme ; au contraire, dès qu’il apprit la prison de M. de Valville, et les raisons qui l’avaient occasionnée, il prit fortement son parti, sans néanmoins blâmer la conduite de ma chère mère ; il raisonna en homme sage et prudent ; il fit convenir madame de Miran qu’il n’était point à propos de laisser son fils dans cet endroit ; il s’offrit encore d’aller lui parler, afin de lui adoucir la dureté de cette aventure et de lui faire entendre raison.

Si mon anéantissement eût été moins fort, j’aurais été extasiée de cette manière d’agir si noble et si cordiale ; mais je n’y fis aucune attention, et ce manque d’attention le surprit infiniment. Ils crut, comme il me l’a avoué par la suite, que je ne prenais plus part à ce qui touchait M. de Valville ; il avait tort, et très grand tort, de me soupçonner d’une semblable indifférence ; il ne me développait pas ; mais quelques jours après il changea bien de pensées, ou, pour mieux dire, je réparai bien cette faute, en lui faisant en même temps sentir toute l’estime que sa façon d’agir m’avait inspirée.

Comme cet aimable ami… oh oui, ami ; il n’en fut jamais de pareil ; cela est très vrai, madame ; aussi ne lui donnerai-je plus d’autre nom. Je dis donc que cet aimable ami s’étant offert de rendre une visite à M. de Valville, il ne la différa pas d’un instant. Il court à la Bastille dès que madame de Miran lui eut témoigné que cela lui ferait plaisir ; il voit son cher fils, qu’il trouva incommodé et très raisonnable ; il me dit même qu’il avait demandé de mes nouvelles avec assez de vivacité ; ce qui m’aurait fait un plaisir infini, si j’eusse été susceptible de quelque sentiment. Cependant une heure après j’y fis réflexion, car je commençais à revenir à moi-même ; mais cette réflexion-là diminua ma joie ; la nouvelle de son incommodité m’inquiéta. Comme je réfléchissais encore à cela, mon ami l’officier entre, et, me trouvant beaucoup mieux, il me dit : Ah ! je vois bien, mademoiselle, que je n’ai rien à espérer ; M. de Valville reconnaît déjà sa faute, je m’en suis aperçu ; oui, je vous perds, belle Marianne, et je perds un trésor inestimable.