Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/618

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Vous vous trompez, monsieur, répondis-je ; ce n’est plus la tendresse qui a fait parler M. de Valville lorsqu’il a demandé de mes nouvelles, c’est la haine : car il doit se persuader que je suis la cause de tous ses chagrins ; cela n’est pas vrai, du moins de mon consentement ; mais il le croit, et il a quelque raison, car toutes les apparences sont contre moi. Cette haine-là est juste, je ne puis la blâmer ; je suis très disposée à me soumettre à tout son ressentiment ; je le mérite parce que j’ai été assez téméraire pour toucher son cœur ; il ne m’appartenait pas de le captiver à ce point-là.

Pour vous, monsieur, vous me faites un honneur infini ; votre généreux procédé à mon égard m’a pénétrée de la plus vive reconnaissance, et cette reconnaissance durera autant que ma vie ; elle pourra même faire bien des progrès sur mon âme. La situation où je me trouve ne me permet pas de pousser plus loin mes idées. L’accablement extrême où vous me voyez, la maladie de M. de Valville, la tristesse de ma chère mère, voilà bien des contre-temps à digérer ; mes forces sont épuisées. Que deviendrai-je ? je n’en sais rien. Vous m’aviez donné huit jours pour me déterminer, mais ces huit jours-là ont été remplis de tant de fâcheux incidents, qu’il m’a été tout à fait impossible de réfléchir. Je dis vrai, monsieur ; ainsi ayez la bonté d’attendre que je sois plus tranquille, et en état d’opter sur ce que vous m’avez fait la grâce de me proposer.

Vous me ravissez, mademoiselle, reprit-il ; plus je vous connais, plus je vous respecte : je pourrais même me servir ici de termes plus énergiques, pour vous exprimer la situation où vous avez mis mon âme ; mais cela serait ridicule dans la bouche d’un homme de mon âge. Vous serez toujours la maîtresse d’accepter mes offres, quand vous le jugerez à propos. Ces offres-là sont si peu de chose pour vous, que j’attendrai autant de temps qu’il vous plaira. Et tout de suite : Je vous demande seulement une grâce, mademoiselle, et cette grâce est de m’accorder quelquefois l’honneur de vous voir et de jouir du plaisir de votre conversation.