Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/619

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Ah ! monsieur, répondis-je tout émue, vous me ferez toujours un honneur et un plaisir infinis ; je ne puis que profiter, oui, je le répète, et beaucoup profiter dans la compagnie d’une personne de votre mérite. Mais, monsieur, il se fait tard, je vous retiens ; ayez la bonté de venir nous informer promptement de la maladie de M. de Valville, car cette maladie m’inquiète furieusement.

Ce galant homme prit aussitôt congé de moi : il revint le lendemain tout effrayé nous dire que M. de Valville était grièvement malade. Autre redoublement de douleur pour moi.

Ah ! ma chère mère, dis-je alors en me jetant aux pieds de madame de Miran, laisserez-vous mourir votre fils dans ce funeste lieu ? De grâce, faites cesser au plus tôt sa captivité. Monsieur, m’écriai-je comme une personne qui va expirer, aidez-moi à fléchir ma mère. Mais il ne fallut pas faire de grands efforts ; madame de Miran était trop attendrie pour résister davantage à mes prières ; elle se disposa presque aussitôt à aller le secourir. Madame Dorsin arriva dans ce moment ; notre ami n’eut garde de nous quitter ; de sorte que nous partîmes tous les quatre pour la Bastille.

Pendant le chemin, je vous dirai, madame, que mon cœur palpitait si extraordinairement, que j’avais de la peine à respirer ; la crainte, le plaisir, la douleur l’agitaient tour à tour violemment. Ah ! disais-je en moi-même, M. de Valville pourra-t-il supporter ma présence sans colère ? Quelle posture tiendrai-je devant lui ? Je suis le sujet de toutes ses peines ; pourra-t-il m’envisager sans effroi ? Mon Dieu, que je suis à plaindre ! Ensuite de plus doux mouvements succédaient à ceux-là. Peut-être aussi, continuai-je, me rendra-t-il plus de justice ; il connaît la bonté de mon cœur, je lui en ai donné des preuves un nombre de fois ; ces preuves-là pourront le calmer. Mais quelle attitude dois-je prendre en sa présence ? Il me sera impossible de contraindre ma douleur, de ne pas lui laisser entrevoir le feu violent qui me dévore malgré son infidélité. Que sais-je enfin ce qui va arriver ?