Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/626

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qué par des voleurs à un quart de lieue de Nouan, village situé sur la rivière de Loire, entre Orléans et Blois, et que plusieurs personnes avaient perdu la vie dans cette occasion. Il était encore informé du jour, de l’année et du mois auquel cette triste aventure était arrivée. Il se doutait bien que son fils avait été tué ; mais il ne pouvait se persuader que son épouse et sa fille eussent eu le même sort ; cependant il n’en avait aucune nouvelle, et c’est ce qui lui causait d’amers déplaisirs. Il m’a dit qu’il relut plus de cent fois la lettre de madame de Kilnare à madame Varthon ; de sorte que, ne doutant presque plus que je ne fusse le triste reste de sa malheureuse famille, il passa en France pour s’en éclaircir.

Il s’embarqua pour Nantes ; ensuite, ayant côtoyé la rivière de Loire, il arriva à Nouan, environ trois semaines avant l’événement de la Bastille.

Vous vous souviendrez, s’il vous plaît, madame, que j’ai dit, dans la première partie de ma vie, qu’il y avait dans le carrosse de voiture où je fus trouvée un chanoine de Sens, qui s’enfuit ; que cinq ou six officiers, qui couraient la poste, passèrent quelques moments après que le carrosse eut été attaqué, et qu’ils me transportèrent dans un petit village ; qu’il y eut un procès-verbal de fait par une espèce de procureur fiscal du lieu. Vous pensez que le duc, mon grand-père, n’oublia pas de se faire donner une copie de cet acte. Ayant aussi appris que quelques dames des environs, qui m’avaient estimée et caressée jusqu’à mon départ pour Paris avec la sœur du curé, pourraient parfaitement lui faire mon portrait, il leur rendit visite. Elles l’informèrent qu’ayant fait consulter les registres du nom des voyageurs, elles avaient appris que le monsieur et la dame inconnue y étaient inscrits sous le nom du chevalier de Flacour, et de Julie M… ; qu’ils avaient pris cinq places, trois pour eux et pour une petite fille, et deux autres pour un laquais et une femme de chambre. À peine le duc eut-il entendu prononcer le nom de Flacour, qu’il s’écria : Ah ! c’est mon fils, j’en suis très persuadé. Cependant, pour n’avoir aucun doute sur cet