Page:Marquis de Lassay, Maurice Lange - Lettres amoureuses et pensées diverses du marquis de Lassay, Sansot 1912.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la fille d’un « apothicaire », (nous dirions d’un pharmacien) avait été sur le point de devenir duchesse et le fût devenue en effet, si une diplomatie tortueuse n’eût cherché à mettre à profit la passion du duc de Lorraine pour lui extorquer son abdication. Mais Louis XIV et ses ministres avaient compté sans Marianne. Plutôt que de se prêter à un marché indigne, elle se fit un devoir de suivre à la Bastille les archers de Le Tellier. Un désintéressement si rare força l’estime de toute la Cour. Et à quelques années de là, quand le jeune Lassay vit au Luxembourg la femme de chambre de la Grande Mademoiselle, ce souvenir acheva de lui persuader que le bonheur ne serait pour lui que là où serait la belle Marianne. Elle justifia une fois de plus sa réputation de sagesse. Elle lui représenta gentiment la différence de leurs âges et de leurs conditions, et fut si persuasive que, sur son conseil, il se laisser marier ailleurs (1674). Mais quand, moins d’un an après, Marie-Marthe Sibourg fut morte sans lui laisser de regrets, alors enfin Marianne se laissa fléchir. Il était écrit qu’elle porterait une couronne. Il n’avait tenu qu’à elle d’être duchesse ; elle fut, du moins, marquise[1].

Un jour le bruit courut que Lassay s’était démis de sa charge d’enseigne des gendarmes du roi, et que, sans même attendre l’agrément du monarque ni le consentement de son père à la déclaration du mariage, il était allé enfouir son trésor dans une terre qu’il avait près du Mans. Il y perdit la faveur royale et la considération des courtisans, pour qui s’éloigner de la Cour, source des honneurs et des grâces, était une insigne folie ; il y perdit encore sa fortune, car son père, en Normand retors, imagina de se faire payer son consentement au mariage d’un traité par lequel il le dépouil-

  1. Voir infra, p. 51 sq. Cf. Mémoires de Mlle de Montpensier, III, p. 497, 530-1, 579-830.