Page:Martineau - Dupleix et l’Inde française, tome 2.djvu/498

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soldats, ne reconnaissant ni amis ni ennemis, jetèrent leurs armes et, se dirigeant tant bien que mal dans l’obscurité, repassèrent le Ponnéar et revinrent à Ariancoupom. Si les Anglais avaient pu se douter d’une pareille confusion, peu de nos hommes eussent échappé, tandis que nous n’en perdîmes guère que deux cents.

Les premières nouvelles de l’affaire reçues à Pondichéry le 29 au matin furent que la ville était prise. Madame Dupleix, qui par ses manœuvres avait préparé l’expédition, triomphait et son mari proclamait que cette action la couvrirait de gloire auprès du roi de France, des autres rois d’Europe, des chefs musulmans, des nababs, des rajahs et du mogol lui-même. (Ananda, t. 5, p. 79 et 84). Mais bientôt il fallut en rabattre et alors le ton changea. Dupleix fut unanimement blâmé pour avoir laissé à sa femme la direction d’une affaire aussi importante et on les chansonna l’un et l’autre. C’est en vain qu’ils essayèrent de rejeter sur Mainville ou sur la fatalité la cause de ce grave échec ; personne ne fut dupe de cette défense et Dupleix cessa provisoirement d’être un grand homme. (Ananda, t. 5, p. 94 et 95).

Ananda, qui n’aimait pas Madame Dupleix, nous dit que tout autre qu’elle, après une pareille affaire, eut été pendu. Mais, ajoute-t-il, « comme elle est obstinée, je m’attends à ce qu’elle s’occupe à nouveau d’affaires. Nulle autre femme ne voudrait encore intervenir dans celles de la politique, mais elle est une Nili[1]. Les poètes disent qu’il y en a une à chacun des quatre âges. Quand la première parla, les flots se résorbèrent ; quand la seconde parla, les étoiles tombèrent ; quand la troisième parla, le monde trembla ; mais Madame est tout cela à la fois. Je

  1. Personnage du Ramayana, type de cruauté, d’impudence et d’effronterie.