Page:Marty - Les principaux monuments funéraires.djvu/39

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Le fond de cette pièce est une aventure arrivée en Espagne à la propre sœur de Beaumarchais, aventure dans laquelle lui-même il avait honorablement figuré. On doit moins s’étonner, d’après cela, de la chaleur et de la vérité avec lesquelles il a retracé des situations où il s’était rencontré, et des sentimens qu’il avait éprouvés : dispensé de l’invention, il n’avait eu besoin que de sa mémoire.

En 1770, Beaumarchais donna un nouveau drame sous ce titre : Les deux Amis, ou le Négociant de Lyon. Celui-ci ne réussit pas : produisant même un effet opposé à celui que se proposait l’auteur, il fit rire le public. L’intérêt de la pièce repose sur l’embarras d’un honnête homme forcé, par un concours de circonstances malheureuses, à suspendre ses paiemens. Les deux Amis se jouaient au Théâtre Français dans la solitude. Beaumarchais, un des jours où on les représentait, étant allé à l’Opéra, fut fort surpris de le trouver désert aussi. « Eh quoi, dit-il à mademoiselle Arnould, vous n’avez pas plus de monde ! — Que voulez-vous ? lui répondit la malicieuse actrice, nous comptions sur vos amis pour nous en envoyer. »

Beaumarchais donna, en 1775, à la Comédie Française le Barbier de Séville. Avez-vous des ennemis ? fuyez la scène : les ennemis de Beaumarchais l’attendaient là. Le Barbier de Séville tomba à la première représentation, comme le dit l’auteur lui-même avec plus de gaîté que d’humilité, et n’en resta pas moins au théâtre, où on le revoit toujours avec un nouveau plaisir. Cette comédie est certainement une des meilleures qu’on ait faites depuis Molière : l’intérêt de l’intrigue s’y renouvelle sans cesse par les embarras renaissans des moyens mêmes imaginés pour sortir d’embarras. L’intérêt du dialogue y est sans cesse entretenu par une abondance intarissable de traits piquans et philosophiques, assaisonnés de la gaîté la plus communicative.

Le Mariage de Figaro, suite du Barbier de Séville, ne parut que neuf ans après la représentation de cet ouvrage. Ce ne fut qu’en 1784 que Beaumarchais parvint à lever les obstacles que l’autorité opposa long-temps à la représentation de cette pièce si hardie, et néanmoins demandée par la cour elle-même, dont elle offrait la satire. Soit par sa construction, soit par ses proportions, cette comédie sort tout-à-fait de la classe commune. C’est l’imbroglio le plus compliqué qui soit à la scène ; mais c’est en même temps la série la plus variée des incidens les plus amusans ou les plus attachans. Les ridicules, les vices mêmes de la société, des grands seigneurs, des magistrats, du gouvernement y sont signalés avec une singulière audace ; tableau vivant des mœurs du grand monde vers la fin du dix-huitième siècle, tableau assez fidèle pour qu’il paraisse aujourd’hui un peu outré.