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Page:Massé - Mena’sen, 1922.djvu/119

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le fleuve vers l’islet-rocher distant d’environ un demi-arpent d’une pointe de gravier.

Robert parvint au rocher sans se mettre à la nage, l’eau ne lui allant qu’aux aisselles. Il monta sur Mena’sen et déposa dans la crevasse, avec un soin quasi maternel comme pour ne pas l’éveiller, la morte qu’il contempla longuement et baisa au front une dernière fois. Ensuite, il arracha du lit du fleuve, peu profond autour de l’islet, une grande quantité d’alsial qu’il déposa en une couche épaisse sur le cadavre. Il recouvrit le tout d’un tertre de gravier provenant aussi du fleuve.

Après qu’il eut ainsi mis sa bien-aimée à l’abri des carnassiers de l’air, les seuls qui fussent à redouter, le jeune homme se recueillit et parut prendre une détermination, car il descendit du rocher et revint vers la grève. Il s’engagea dans la forêt d’où il ressortit, peu après, avec un arbuste qu’il venait d’arracher, un jeune pin frais-aoûté avec sa racine. De nouveau, il se remit à l’eau et se dirigea vers le mausolée. Il avançait lentement, car le courant était assez rapide et, lesté du fardeau qu’il portait la première fois, il faillit perdre pied en se dégageant de l’alsial qui lui ligotait les jambes. Enfin, pour la seconde fois, il atteignit le rocher, s’y hissa et se mit en devoir de transplanter sur la tombe de sa fiancée l’arbre funéraire qu’il venait de quérir. C’était sa manière de se montrer munificent, de faire de posthumes gâteries à celle pour qui il avait rêvé un « home » confortable. Il lui semblait que cet humble pin au feuillage toujours vert et qu’il était allé chercher au péril de sa vie serait un hommage vivant à sa fiancée de sa dévotion et de son amour. Soigneusement, il disposa sur le tumulus les racines de l’arbuste qu’il enchaussa ou butta solidement de gravier.