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LE DIABLE

La Rapet, une vieille repasseuse, gardait les morts et les mourants de la commune et des environs. Puis, dès qu’elle avait cousu ses clients dans le drap dont ils ne devaient plus sortir, elle revenait prendre son fer dont elle frottait le linge des vivants. Ridée comme une pomme de l’autre année, méchante, jalouse, avare d’une avarice tenant du phénomène, courbée en deux comme si elle eût été cassée aux reins par l’éternel mouvement du fer promené sur les toiles, on eût dit qu’elle avait pour l’agonie une sorte d’amour monstrueux et cynique. Elle ne parlait jamais que des gens qu’elle avait vus mourir, de toutes les variétés de trépas auxquelles elle avait assisté ; et elle les racontait avec une grande minutie de détails toujours pareils, comme un chasseur raconte ses coups de fusil.

Quand Honoré Bontemps entra chez elle, il la trouva préparant de l’eau bleue pour les collerettes des villageoises.

Il dit :

— Allons, bonsoir ; ça va-t-il comme vous voulez, la mé Rapet ?

Elle tourna vers lui la tête :

— Tout d’même, tout d’même. Et d’ vot’part ?

— Oh ! d’ ma part, ça va-t-à volonté, mais c’est ma mé qui n’va point.

— Vot’ mé ?

— Oui, ma mé !