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― Et c’est là ce qui te rend triste ? fit Georges.

― Cela ne me rend pas triste ; mais j’étais habitué à la pauvreté, et s’il me fallait y retomber après avoir cru en sortir, je craindrais que cela ne me rendît plus malheureux qu’auparavant.

― Quel enfantillage ! mais raconte-moi donc cette histoire, dit Georges en l’amenant dans un coin écarté.

― Ce matin, à huit heures, figure-toi qu’on frappe à ma porte ; j’ouvre, j’aperçois un monsieur âgé qui me dit, en regardant les papiers qu’il tenait à la main et après m’avoir considéré avec la plus grande attention :

― Vous êtes bien monsieur Karl Elmerich, né à Valenciennes le 25 décembre 1842 ?

― Oui, monsieur, lui dis-je.

― Votre mère s’appelait bien Jeanne Dolfus ?

― Oui, monsieur.

― Vous ne l’avez jamais connue ?

― Non, monsieur.

― C’est bien à l’hôpital Saint-Sauveur de Valenciennes qu’elle est accouchée ?

― Mais enfin, monsieur, toutes ces questions… lui dis-je en me sentant remué au fond de l’âme par tous ces affreux souvenirs de ma naissance que je t’ai racontés.

― Vous êtes libéré du service militaire ? continua le vieux monsieur.

Je lui offris une chaise sans rien répondre.

― Oui, je comprends, mon ami, les sentiments que vous devez éprouver, j’ai ravivé sans le vouloir des souvenirs douloureux. C’est que, voyez-vous, mon enfant, vous ne pouvez savoir à quel point vous m’êtes cher et combien je suis heureux de pouvoir constater que vous