Page:Maurice Joly - Son passe, son programme par lui meme - 1870.djvu/28

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j’étais un écrivain immoral ou peu sensé. M’arrivait-il de parler dans une réunion publique, j’étais aussitôt représenté comme un bavard ennuyeux, ne disant que des sottises, ou bien on me faisait tenir un langage diamétralement opposé à celui que j’avais tenu. C’est ainsi que quand j’allais dans les réunions de Belleville faire une guerre loyale, d’ailleurs, à certains communistes, d’atroces journaux me représentaient comme prêchant le communisme ; et si j’étais menacé, assailli à la tribune par mes contradicteurs exaltés, c’était bien fait, car j’avais insulté l’assemblée.

Avais-je un procès comme celui du Gaulois[1] (que par parenthèse j’ai gagné), c’est moi qui avais tous les torts, qui méritais les étrivières ; et si par hasard je donnais des explications personnelles, elles étaient défigurées, dénaturées, rendues ridicules à plaisir. Avais-je un duel (affaire Laferrière), mon adversaire était un ange et je m’étais conduit comme un malotru.

J’ai plaidé dans ma vie cent procès de quelque importance, jamais un mot dans les journaux de droit, partout le silence de la haine, à l’exception d’un très-petit nombre de feuilles qui cherchaient à me défendre de temps en temps contre cet ostracisme. Je les remercie.

  1. J’ai dû pour aller plus vite négliger le développement de l’incident qui m’est arrivé avec le journal le Gaulois pendant la période plébiscitaire. Cependant on peut se rappeler que quelques jours avant l’ouverture du scrutin qui allait donner un nouveau bail à l’Empire en faisant voter à la France la constitution Forcade-Ollivier, il parut dans le journal le Gaulois la première partie d’un supplément au Dialogue de Machiavel et de Montesquieu. J’avais pensé qu’en raison de la notoriété qu’avait acquise le Dialogue aux Enfers, une critique du plébiscite faite dans la même forme avait de grandes chances de succès, puisque cette nouvelle satire procéderait de la même origine. Je ne sais ce qui fût arrivé si le travail n’eût pas été compromis par le refus du Gaulois d’en continuer la publication. Je me borne à dire ici qu’à mon sens l’Épilogue valait au moins le Dialogue, tant il est vrai que la renommée des livres est un pur hasard !

    Un de mes amis m’avait ouvert les portes de ce journal en me disant que j’y serais bien accueilli ; et tout le monde sait que jusqu’à l’époque du plébiscite où le Gaulois tourna casaque à l’opposition, ce journal était réputé adversaire de l’Empire. On ne connaissait point encore à ce moment tous les dessous de cartes ; mais ne voilà-t-il pas qu’après avoir inséré un dialogue, refus absolu de M. Tarbé de continuer la publication. En même temps ? M. Tarbé conseillait de voter oui et publiait concurremment avec le Figaro les dessins de bombes de la préfecture de police, etc., etc. C’est tout ce que je puis dire ici pour ne pas faire une trop longue digression. M. Ulbach fit dans la Cloche un accueil très-cordial à la suite des dialogues. Mais c’était une suite dont les lecteurs de la Cloche n’avaient pas le commencement. C’était une publication mal engagée par suite gâtée. (On la retrouvera remaniée dans la 2e édition du Dialogue aux Enfers.) Et quant à M. Tarbé les juges de l’Empire, devenus juges de la République, m’ont fait gagner mon procès que j’ai plaidé moi-même à la Cour. Mon ami Fontaine de Rambouillet l’avait plaidé et gagné aussi en première instance devant le Tribunal de Commerce.