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du lion de St-Marc à Venise, publiée par le Suédois Akerblad, il se mit en route en 1809, et fit plus de cinq cents lieues à pied pour cette seule inscription. Il étonna fort le peuple de Venise, qui ne put comprendre ce que voulait cet étranger grimpant sur le monument dans la place publique, et y restant juché en dépit de tous les efforts que l’on fit pour l’en déloger. L’année suivante, il reparut à Paris et il y reçut l’hospitalité chez son compatriote Malte-Brun ; Arendt, par reconnaissance, lui donna une description du monument sépulcral de Kivike dans le Nord, avec un dessin de ces tombeaux antiques. L’un et l’autre ont été insérés dans les Annales des Voyage. Reçu a l’académie celtique, il écrivit pour cette société des remarques sur les plateaux circulaires construits de cailloux qui se trouvent au nord de l’Europe. Un jour il lui prit envie d’aller à Naples. Arrivé a une quinzaine de lieues de Paris, il fut arrêté par des gendarmes qui le prirent pour un vagabond, et le conduisirent au dépôt de mendicité de Melun. Réclamé par Malte-Brun, il fut bientôt mis en liberté. Il retourna, en 1810, dans le Holstein ; et, secondé par les secours du landgrave de Hesse, qui est lui-même grand amateur d’antiquités, il mit deux ans a parcourir le Jutland dans tous les sens, logeant, selon sa coutume, partout où cela lui convenait, au risque d’être renvoyé par ceux qu’il choisissait pour ses hôtes. Il reparut à Copenhague eu 1812, et sollicita les secours du gouvernement pour achever ses recherches archéologiques dans la Norwége. On lui donna quelque argent, et il se remit en route, après avoir dépose a la bibliothèque du roi un recueil de pièces et de notes, fruits de ses voyages, en recommandant de ne pas les communiquer aux antiquaires avant sa mort. Il parcourut pendant plusieurs années le Danemark, la Norwége et la Suède. En 1816, il annonça à Stockholm un cours de langue islandaise ; mais, au lieu d’enseigner, il recommença ses courses. À Linkoeping, il fit imprimer, en 1818, un tableau contenant les divers alphabets runiques. Plusieurs nobles Suédois s’intéressaient a ce pauvre savant, et cherchaient à lui être utiles ; mais Arendt, peu soucieux de son avenir, préféra sa liberté et le plaisir de voyager à toutes les faveurs des grands. On le vit, en 1820, en Allemagne, où il rédigea une notice sur les idoles des païens wendes conservées au cabinet de Strelitz[1]. Peu de temps après, on le vit se livrer à des recherches sur la langue teutonique dans la bibliothèque de St-Gall en Suisse ; de la, il recommença des excursions en Italie et en Espagne, vivant toujours misérablement quand aucune âme généreuse ne venait à son aide, et demandant des secours ou les refusant suivant les circonstances où il se trouvait. À Rome, il fut habillé a neuf par quelques compatriotes qu’il y trouva. On ignore plusieurs de ses voyages, parce qu’il n’en a tenu aucune note. Il racontait qu’une fois, à peine revenu de Madrid en Allemagne, il lui vint un doute sur quelque objet qu’il aurait pu éclaircir dans la capitale de l’Espagne ; aussitôt il se remit en route pour Madrid ; et, dès qu’il se fut éclairé par ses yeux sur ce qui avait donné lieu à ses doutes, il reprit la route de l’Allemagne. En 1823, il passa par l’Autriche et la Hongrie. À Presbourg, il se présenta chez le baron de Mednyanszky pour demander communication pendant quelques heures, dans la cour de l’hôtel, des ouvrages que ce savant avait publiés sur l’histoire du pays. M. de Mednyanszky a rendu compte de son entrevue avec Arendt[2]. Il vit entrer un petit homme chauve et borgne, dont le seul œil restant roulait avec une vitesse incroyable dans son orbite, portant une barbe blanche, ayant le corps ceint d’une corde, et les pieds enveloppés de toile et chaussés de sandales grossières à la manière des montagnards hongrois ; un petit havresac était attaché sur son dos, et il tenait un bâton à la main. « Ce petit homme, d’un extérieur si piteux, dit-il, étala une érudition qui aurait pu suffire à une demi-douzaine d’académiciens. Pour fournir matière à la conversation, je touchai les sujets scientifiques les plus divers ; il déploya sur tous les points un savoir immense, une grande expérience personnelle, et une mémoire extrêmement heureuse et constamment disposée à étaler des trésors de science. » Arendt prit un peu de nourriture chez M. de Mednyanszky ; mais il refusa l’argent qui lui avait été offert. Il se proposait de faire connaître au public les résultats de ses recherches sur la langue, la mythologie et l’histoire des Celtes ; cependant, à l’exception de quelques notes griffonnées sur des bandes de papier, ces résultats étaient tout entiers renfermés dans sa tête et ils n’en sont jamais sortis. Il portait dans sa poche les poinçons d’un alphabet celtibérien, dont lui avait fait présent le comte de Witzay à Hederwar. Il a traîné avec lui cette masse de métal jusqu’à Copenhague, et son intention était de chercher dans l’imprimerie de la Propagande, à Rome, les autres caractères dont il avait besoin pour ses recherches sur les écritures antiques. Revenu en Danemark, il s’établit encore sans façon chez les pasteurs et chez les paysans ; et, après avoir erré quelque temps dans ce royaume, il entreprit un nouveau voyage vers le midi de l’Europe. Il arriva en Italie à la malheureuse époque où les sociétés secrètes des carbonari donnaient des craintes aux souverains. Déjà en Allemagne, surtout en Autriche, Arendt avait été poursuivi par la police a cause de la ressemblance de son nom avec celui de l’auteur de l’Esprit du temps. À Naples, on ne douta pas qu’il ne fût un émissaire des carbonari allemands. Les alphabets runiques qu’il portait sur lui furent pris pour des chiffres secrets, et la police le jeta dans les cachets de St-François. Ce malheureux, traité comme le dernier criminel, y fut attaqué d’une obstruction au foie, dont son

  1. Grossherzogl-Streliszuches Georgium Nordslavischer Gottheiten und ihres Dienstes, aus den Urbildern zu Befœrderung nœherer Untersuchung Aer gestellt, Mindex, 1820.
  2. Archiv fur Geschichte, Statistik, etc. Vienne, 1824, cha. de nov., numéros 140 et 141.