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du jour où il devait faire un discours latin d’apparat, auquel tout Rome était invité, consacra sa harangue tout entière à l’éloge de ce docteur, ne parla que de la grande perte que l’Église venait de faire en sa personne, et le mit au-dessus de tous les écrivains anciens et modernes. Cet homme extraordinaire ne fut pas seulement profond dans la théologie, dans l’intelligence de l’Écriture, dans la science ecclésiastique, il était encore versé dans la dialectique, la géométrie, la grammaire et la rhétorique. Les anciens lui étaient familiers ; mais il paraît avoir surtout affectionné Cicéron. On lui demandait ce qu’il fallait faire pour se former un bon style : « Lisez Cicéron, répondit-il. — Il ne s’agit pas, répliqua-t-on, d’écrire en latin, mais en français. — En ce cas, reprit le docteur, lisez Cicéron. » Il avait lui-même profité de cette lecture ; son style était plein de chaleur et d’énergie, et cette énergie serait plus frappante s’il avait eu l’art de se resserrer. « Arnauld, dit Bossut, était né avec une grande éloquence ; mais il n’en réglait pas assez les mouvements. Les négligences de la diction, le ton pesant et dogmatique nuisirent quelquefois à la force de sa logique, et dans les premières disputes qui le signalèrent, il eut besoin que Pascal fit valoir ses raisons par les charmes de l’expression et et par le piquant de la plaisanterie. Il n’eut pas, comme cet écrivain inimitable, l’art de se resserrer, et d’être précis sans cesser d’être éloquent. » On a de cet homme illustre environ cent quarante volumes en différents formats, dont plusieurs ont été faits en société avec Pascal, Nicole, Lami, etc., et malgré l’inépuisable fécondité de l’auteur, rien n’empêche de croire qu’un grand nombre est l’ouvrage de ses disciples, qui ont voulu en faire honneur à leur chef, ou les mettre en crédit par l’autorité d’un grand nom. Le recueil complet de ces écrits a été publié en 45 vol. in-4o, à Lausanne, en 1777-78-79-83. On peut diviser ces écrits en cinq classes : la 1re, composée des livres de belles-lettres et de philosophie : 4o  Grammaire générale et raisonnée, contenant les fondements de l’art de parler, etc., par MM. de Port-Royal ; nouvelle édition, augmentée des notes de M. Duclos, de l’Académie française, et d’un supplément par M. l’abbé Froment, in-12, 1756. Cet ouvrage fondamental, et qui est la clef de toutes les langues, a été réimprimé en 1803 et en 1811, in-8o, avec des notes de M. Petitot. 2o  Éléments de géométrie. 3o  L’Art de penser, avec Nicole, livre excellent, qui a fait révolution dans l’enseignement de la logique. Les auteurs ont cru devoir, par ménagement pour les partisans de l’ancienne barbarie scolastique, y faire entrer des matières que, plus tard, ils n’auraient pas manqué d’exclure. Arnauld, du moins, y fait assez sentir le cas qu’il faisait de ces sottises, dont Molière fit justice peu de temps après. 4o  Réflexions sur l’éloquence des Prédicateurs, Paris, 1695. Cet écrit fut composé à l’occasion d’une préface de Dubois, qui interdisait l’éloquence aux orateurs chrétiens. Arnauld, à qui il avait envoyé son ouvrage, répondit à ses sophismes avec une telle supériorité de dialectique et de raison, que Nicole dit en le lisant : « Si M. Dubois n’était pas mort, il en mourrait. » En effet, l’écrit d’Arnauld ne fut imprimé qu’après la mort de ce faible traducteur de Cicéron et de St. Augustin. Ce livre obtint le suffrage même des jésuites, qui d’ailleurs n’étaient pas fâchés de voir le maître humilier le disciple. Le P. Bouhours lit la préface de l’édition de 1700, qui parut sous le titre général de Réflexions sur l’Éloquence, avec des lettres de Brulart de Sillery, évêque de Soissons, contre D. Lami, bénédictin, sur le même sujet. Enfin on le réimprima, en 1730, en Hollande, dans le Recueil de divers traités sur l’éloquence et la poésie, publié par Bruzen de la Martinière. 5o  Objections sur les Méditations de Descartes. 6o  Traité des vraies et des fausses Idées, Cologne, 1683. La deuxième classe est celle des ouvrages sur les matières de la grâce. On en trouve une liste fort longue dans le Dictionnaire de Moréri, et dans le Supplément au nécrologe des principaux défenseurs et confesseurs de la vérité. Le principal est celui dont nous avons parlé plus haut, sous le titre de Réflexions philosophiques et théologiques. La plupart des autres ne roulent que sur des disputes particulières, si l’on en excepte la traduction des livres de St. Augustin, des Mœurs de l’Église catholique, de la Correction et de la Grâce, de la véritable Religion ; de la Foi, de l’Espérance et de la Charité, 1648. La troisième, des livres de controverse contre les calvinistes : 4o  la Perpétuité de la foi, ouvrage auquel il avait eu beaucoup de part, et qu’il publia sous son nom, comme Nicole, son principal coopérateur, l’avait désiré. Clément IX, à qui il fut dédié, Clément X et Innocent XI, lui firent écrire des lettres de remercîment. 2o  Le Renversement de la morale de Jésus-Christ par les calvinistes, en 1672, in-4o. 3o  l’impiété de la morale des calvinistes, en 1675. 4o  L’Apologie pour les catholiques, 1681-82, 2 vol. in-12. 5o  Les Calvinistes convaincus de dogmes impies sur la morale. 6o  Le prince d’orange, nouvel Absalon, nouvel Hérode, nouveau Cromwell. L’auteur du Siècle de Louis XIV doute que ce livre soit d’Arnauld parce que le style du titre ressemble à celui du P. Garasse. Cependant le Supplément au Nécrologe, déjà cité, le range dans la longue liste des écrits du docteur. On dit même que Louis XIV ordonna qu’on le fit imprimer, et qu’on en envoyât des exemplaires dans toutes les cours ; mais cette assertion n’est pas prouvée. On a plus de plaisir à penser, comme de savants théologiens l’assurent, que ce fut à l’Apologie pour les catholiques que Louis XIV fit cet honneur. La quatrième classe, des écrits contre les jésuites, parmi lesquels on distingue la Pratique morale des jésuites, en 8 vol., qui sont presque tous d’Arnauld, à l’exception du premier et d’une partie du second, qui sont de Cambout de Pont-Château. Il y a dans cet ouvrage, comme dans tous les écrits de parti, des vérités et des exagérations. On doit pourtant convenir qu’il est précieux par le nombre et la qualité des pièces originales qu’il contient, dont l’authenticité n’a jamais été contestée par ceux qui y avaient le plus d’intérêt, et qu’on peut proposer