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de la junte des notables espagnols, convoquée par un décret impérial du 25 mai, et dont les séances devaient s’ouvrir le 15 juin suivant. On sait que cette junte, réunie à Bayonne sous l’influence immédiate de Napoléon, ne fut qu’un servile instrument de sa volonté : elle lui fut présentée en corps le 18 juin, et Azanxa, qui portait la parole en sa qualité de président, lit entendre aux oreilles de son nouveau maître le langage de la plus abjecte flatterie. Enfin. dans la dernière séance de cette assemblée (7 juillet 1808), la nouvelle constitution fut acceptée, le serment de fidélité à Joseph Bonaparte fut prêté par tous les députés, et ils obtinrent la permission de rentrer en Espagne. Dès le 1er juillet précédent, Azanza avait été nommé ministre des Indes ; le portefeuille des finances qu’il avait conservé jusqu’à ce jour fut confié au comte de Cabarrus. Ces deux ministres furent au nombre de ceux qui, lorsque les suites de la bataille de Baylen forcèrent les Français d’évacuer la capitale, accompagnèrent leur nouveau maître dans sa retraite sur l’Èbre. Ce fut pendant cette retraite qu’Azanza et O’Farrill rédigèrent un mémoire daté de Buytrago, le 2 août 1808, sur les moyens de rendre plus solide l’alliance de la France et de l’Espagne, en diminuant pour cette dernière les charges de cette alliance. Azanza et Urquijo furent envoyés à Paris pour mettre ce mémoire sous les yeux de Napoléon, et l’appuyer auprès de son conseil ; mais on n’y eut aucun égard, et il demeura sans effet. Au Commencement de 1800, Azanza fut nommé ministre de la justice du roi Joseph. Il obtint au mois d’octobre de la même année le grand cordon de l’ordre royal d’Espagne, et fut nommé commissaire royal pour le royaume de Grenade, en octobre 1810, au moment du départ de Joseph pour Cordoue. Peu de temps après il fut envoyé à Paris, avec le titre d’ambassadeur extraordinaire, pour féliciter Napoléon sur son mariage avec Marie-Louise. Le titre de duc de Santa-Fé lui fut conféré à cette occasion, ainsi que l’ordre de la Toison d’or (21 mars 1811). Ce voyage, dont le prétexte était un vain devoir de cérémonial, avait un but réel d’une plus grande importance : c’était de faire à l’empereur, de la part de son frère, des représentations sur les gouvernements militaires qu’il venait d’établir en Espagne, et sur le peu d’autorité qu’il laissait à Joseph dans cet État dont il l’avait fait roi. Napoléon, qui pressentait ces remontrances par le choix de l’ambassadeur, laissa s’écouler quelques mois avant d’accorder une audience ; et, lorsqu’elle eut lieu enfin, il déclara au ministre espagnol qu’il était mécontent du conseil de son frère, qui ne cherchait qu’à le rendre Espagnol, et à mettre l’Espagne hors de la dépendance de la France ; il traita de renégats les Français qui avaient suivi Joseph dans la Péninsule, et laissa échapper contre ce dernier le reproche d’ingratitude. Azanza quitta Paris sans avoir pu remplir l’objet de sa mission. Lorsque, deux ans après, Joseph Bonaparte s’enfuit d’Espagne, Azanza vint en France avec lui. Il se retira d’abord à Montauban ; mais un ordre du roi Joseph l’ayant appelé à Paris au mois de décembre -1815, il y résida jusqu’après la révolution de Madrid, en 1820[1]. Le décret de la junte centrale de Cadix, du 25 novembre 1808, qui l’avait déclaré, ainsi que ses collègues ministres du roi Joseph, traître à sa patrie, à sa religion, à son roi, qui avait ordonné la confiscation de ses biens et porté contre lui la peine de mort, se trouvant alors annulé, il retourna en Espagne ; mais Ferdinand VII, auquel il avait proposé d’aller au Mexique pour essayer de réconcilier cette colonie avec la métropole, refusa ses services. Au printemps de 1822 il quitta de nouveau Madrid pour revenir en France ; et, fixé à Bordeaux depuis le mois d’août de cette année, il y mourut dans la 80e année de son âge, le 20 juin 1826. Les citoyens les plus notables de Bordeaux, ayant à leur tête le préfet (M. d’Haussez), assistèrent à ses funérailles. Ferdinand VII lui avait accordé une pension de 6,250 fr., dont il a joui jusqu’à la fin de ses jours, et que la médiocrité de sa fortune lui rendait nécessaire. -Nous nous sommes abstenus, dans cette notice, de toute réflexion sur la conduite du personnage qui en est l’objet, et nous nous sommes homes à l’exposé fidèle des faits qui nous ont paru les mieux avérés. De graves reproches ont été dirigés contre les membres de la junte dont Azanza lit partie en 1808. La plupart ont été accusés de s’être laissé séduire par l’or de Bonaparte, d’avoir cédé a de lâches terreurs ou si de vils calculs d’ambition personnelle. Ces accusations, que l’esprit de parti n’a pas épargnées au duc de Santa-Fé, nous paraissent devoir être abandonnées contre lui. Il a laissé la réputation d’un homme intègre, d’un administrateur habile et d’un bon citoyen ; et rien de ce que nos recherches nous ont fait connaître ne nous autorise à la lui contester. Ce fut précisément à cause de la considération dont jouissait Azanza que Bonaparte mit un grand prix à le gagner. Trop habile pour tenter de séduire un tel homme par des moyens qui eussent flétri son honneur, il sut, par des cajoleries, des marques d’estime et d’affection, flatter sa vanité et se rendre maître de lui. À Bayonne, il le recevait avec une distinction marquée ; il le consultait et faisait semblant d’écouter ses avis. Il le faisait venir au château de Marrac, où lui-même était tout à fait en famille ; et là le traitait avec un air de grande confiance et de familiarité bienveillante[2]. Le duc de Santa-Fé fut dupe de cette conduite, il s’imagina

  1. Pendant les cent jours de 1815, Azanza et ses collègues se trouvant à Paris, Joseph leur proposa de prendre la cocarde tricolore, en leur annonçant que dès ce moment ils étaient sénateurs ; leur réponse fut unanime et courte : « Sire, nous voulons être ce que nous sommes. Espagnols ! — Vous serez donc malheureux, » répliqua Joseph. Cette prophétie, qui s’est réalisée, n’ôte rien à la noblesse de la réponse. A-r.
  2. On raconte que, pendant son séjour à Bayonne (juin 1808), Azanza, en entrant chez l’empereur, vit un jour le grand cordon de la Légion d’honneur posé sur une table ; quelques moments après, Napoléon, prenant ce cordon dans ses mains. allait en décorer lui-même le ministre espagnol ; mais celui-ci l’arrêtant : « Sire, lui dit-il, lorsque je me suis décidé a reconnaître le frère de Votre Majesté comme roi d’Espagne, je n’ai en en vue que le bien de mon pays, que je voudrais préserver de la dévastation et des malheurs dont il est menacé. Si mes compatriotes me voyaient décoré du grand cordon de la Légion d’honneur, ils pourraient n’y voir que le prix de ma complaisance. » Napoleon agréa cette excuse et n’insista plus.