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qu’il avait pris sur l’esprit de Napoléon un grand ascendant, et Joseph partagea son erreur. Mais lorsqu’il se fut dévoué sans retour au service de la famille Bonaparte ; lorsque envoyé à Paris a diverses reprises, pour faire usage de cet ascendant dont il s’était flatté, Azanza reçut un accueil froid et cavalier, qu’il vit ses remontrances repoussées par des paroles impérieuses et hautaines, il fut bien aveugle s’il n’entrevît pas que la fascination l’avait entraîné dans un abime. Nous réduisons donc à deux points les reproches qui lui ont été adressés : faiblesse et vanité. Ce fut la crainte et la pusillanimité qui le firent désespérer si vite de la cause de la maison d’Espagne, et qui le conduisirent à Bayonne ; ce furent les séductions de Napoléon qui l’y retinrent et l’y fixèrent. Mais, pour ramener à ces motifs la conduite d’Azanza, nous ne la jugeons pas moins blâmable ; elle est telle, qu’il nous semble impossible de le laver du reproche de déloyauté et de trahison. Investi de la confiance de son souverain, Ferdinand VII, nommé par lui membre de la junte chargée de maintenir ses droits et de défendre ses intérêts, ne l’abandonna-t-il pas au milieu du danger avec une précipitation blãmable ; et n’est-il pas d’autant plus coupable de l’avoir abandonné, qu’il en avait reçu des ordres précis, et que ces ordres prescrivaient nettement ce qu’il avait à faire dans l’intérêt de son maître ? Le 9 ou le 10 mai au plus tard, un piéton que Ferdinand VII avait trouvé moyen d’expédier secrètement de Bayonne pénétra dans Madrid, et remit à Azanza une dépêche du monarque contenant deux décrets. Ils étaient de la main même du roi, et datés du 5 mai : le premier de ces décrets était adressé à la iunte suprême ; Ferdinand autorisait cette assemblée à se transférer elle-même, ou en substituant ses pouvoirs à une ou à plusieurs personnes, dans tel lieu qu’elle jugerait convenable, et à exercer en son nom et à sa place la souveraineté, lui enjoignant de commencer les hostilités an moment même où elle apprendrait que S. M. C. était conduite dans l’intérieur de la France, ce qui ne pourrait avoir lieu que par violence ; et de s’opposer dans ce cas, par tous les moyens que l’on jugerait convenables, à l’entrée de nouvelles troupes françaises sur le territoire espagnol. Le second décret, adresse au conseil royal, et, à défaut de ce conseil, à quelque chancellerie que ce fût dans le royaume, portait l’ordre de convoquer les cortès dans l’endroit qui paraîtrait le plus propre a leur prompte réunion. Ces certes devaient avoir à s’occuper uniquement et sans délai de rassembler les forces et les subsides nécessaires à la défense du royaume : puis elles devaient se déclarer en permanence pour pourvoir à tout ce qui se présenterait. Muni d’ordres de cette importance, Azanza se borna à les communiquer furtivement à quelques-uns de ses collègues, se tint dans une inaction complète, et, lorsqu’il apprit le départ du prince pour Valençay, il se hâta de supprimer et de détruire les ordres qu’il avait reçus! — Azanza a composé à Paris, de concert avec O`Farrill (voy. ce nom), un mémoire justificatif[1] de sa conduite pendant ces circonstances difficiles. En citant ici quelques passages qui contiennent le résumé de cette apologie, nous aurons mis sous les yeux du lecteur l’accusation et la défense : « Lorsque les transactions de Bayonne nous eurent enlevé notre roi ; lorsqu’il ne nous resta plus qu’à opter entre l’anarchie et un régime constitutionnel,

entre les désastres inévitables d’une conquête et les avantages d’un gouvernement indépendant[2], sur le point d’entreprendre une guerre héroïque, mais de longue durée et incertaine dans ses résultats, il est bien pardonnable à un grand nombre d’avoir embrassé le parti de la soumission, et l’on ne pourra jamais leur en faire un crime… Malgré les obstacles que la guerre opposait à leur désir de faire le bien, Azanza et O’Farrill ont la consolante certitude de n’avoir jamais servi d’instruments pour faire le mal. Loin de là, ils peuvent assurer qu’ils ont épargné à un grand nombre de leurs compatriotes les malheurs que la guerre entraîne après elle… Ils protestent avoir servi avec pureté et désintéressement, sans bassesse, sans orgueil, et avec toute la rectitude et intégrité dont ils sont capables… En un mot, ils ne croient avoir rien fait qui les rende indignes de la faveur de leur souverain, et dont leurs affronts aient à rougir en présence de leurs concitoyens. » Azanza a laissé manuscrits des Mémoires sur l'Amérique septentrionale, qu’il avait si bien explorée. On espère qu’ils seront un jour livrés à l’impression.


AZARA (don Joseph-Nicolas d’) naquit, en t731, à Barbunalés, en Aragon, fit ses études à Huesca, et ensuite à l’université de Salamanque, avec tant d’éclat, qu’il attira l’attention de don Ricardo Wal. Ce ministre de Ferdinand VI lui offrit une place dans la magistrature, dans l’armée ou dans le département des affaires étrangères ; don Nicolas, c’est ainsi qu’on l’appelait alors, se décida pour cette dernière carrière. Il s’était familiarisé de bonne heure avec les auteurs romains, et il les possédait assez bien pour écrire en latin avec élégance. Il apprit aussi le grec, qu’il avait d’abord négligé. L’histoire moderne, et particulièrement celle de son pays, fixa son attention ; mais son goût dominant l’entraînait vers les beaux-arts, et ce goût fut justifié par l’amitié qui s’établit entre lui et le peintre Raphaël Mengs, amitié qui devint encore plus intime pendant leur séjour à Rome. Le chevalier d’Azara débuta, en 1765, dans la carrière diplomatique ; il fut envoyé à Rome, sous Clément XIII, en qualité d’agent du roi pour les affaires ecclésiastiques auprès de la daterie. Il obtint bientôt toute la confiance de

  1. Ce mémoire, daté de Paris, 13 décembre 1814, est intitulé : Memoria de D. Miguel Josè de Azanza y D. Gonzalo O’Farril, sobre los chechos que justifican sa conducia politica desde marso de 1806 hasta abril de 1814, Paris, impr. de P.-N. Bougeron (janvier 1815, in-8° de 297 pages) ; il a été traduit en français par M. Alexandre Foudras, ibid., avril 1815, in-8° de iii et 525 pages. Le tiers de ce volume est rempli de documents officiels et de pièces peu connues, dont plusieurs sont d’un grand intérêt pour l’histoire. L’ouvrage lui-même peut être consulté avec fruit, et nous y avons eu recours pour la notice que l’on vient de lire.
  2. Un gouvernement indépendant, un régime constitutionnel, offerts par Bonaparte!…