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de très-bonnes études à l’université de Huesca, il fut admis à l’école militaire de Barcelone, et nommé, en 1764, cadet dans le régiment d’infanterie de Galice. L’année suivante, il eut le plaisir de serrer pour première fois son frère dans ses bras ; celui-ci ayant été envoyé à l’université de Salamanque peu de jours avant la naissance de Félix, et Félix n’avait point paru dans la maison paternelle depuis son envoi aux universités. Les deux frères furent ensuite trente-cinq ans sans se revoir. En 1761, Félix d’Azara entra comme enseigne dans le corps du génie, devint lieutenant en 1175, et en cette qualité prit part à l’expédition malheureuse qui fut faite contre Alger. Blessé dangereusement par une grosse balle de cuivre, et laissé comme mort sur la place, il dut la vie aux soins d’un ami et à la présence d’esprit d’un matelot qui extirpa la balle avec un couteau ; quelque temps après il se cassa la clavicule en tombant de cheval. Nommé capitaine en 1776, il eut bientôt une occasion d’exercer ses talents. Les cours d’Espagne et de Portugal, toujours divisées sur les limites de leurs vastes domaines dans l’Amérique méridionale, en fixérent les bases par le traité de St-Ildefonse, dont la ratification eut lieu par le traité de paix du Pardo en 1778. Des commissaires furent nommés de part et d’autre pour aller en Amérique tracer les bornes des deux États, conformément aux clauses du traité. Azara fit partie de la commission espagnole. On l’attacha au corps de la marine en qualité de lieutenant-colonel d’ingénieurs ; et il partit de Lisbonne en 1781 sur un bâtiment portugais, parce que l’Espagne était alors en guerre avec l’Angleterre. En mer il apprit que le grade de capitaine de frégate lui avait été conféré, le roi ayant jugé convenable que les commissaires fussent tous officiers de marine. Les commissaires espagnols terminèrent les opérations qui leur étaient confiées ; mais comme les Portugais, par l’exécution stricte du traité, eussent été obligés d’abandonner les contrées dont ils s’étaient emparés, ils cherchèrent à différer autant qu’ils purent la conclusion de leurs travaux et à éluder les stipulations qui les liaient. Ils ne furent que trop bien secondes par insouciance et la connivence coupable des gouverneurs espagnols. Azara, retenu plus longtemps qu’il ne l’avait présumé dans ces régions lointaines, voulut mettre a profit ce séjour forcé dont il était difficile de prévoir le terme, puisque l’on cherchait à rendre interminable l’affaire pour laquelle il y avait été appelé. Il conçut le hardi projet de dresser une carte du pays immense dont il venait seulement de lever la frontière. Il prit sur lui toutes les dépenses, les peines, les risques et les périls de cette grande entreprise : c’était un acte de courageux dévouement, car non seulement il n’espérait aucun secours des vice-rois espagnols, mais il avait plutôt à craindre qu’ils ne lui suscitassent des obstacles : il fut même obligé d’exécuter à leur insu une partie de ses longs voyages. Treize ans suffirent À peine pour compléter sa belle entreprise ; et sans les moyens que lui offraient son rang et ses fonctions, sans le zèle des officiers qu’il avait sous ses ordres. il lui eut été impossible de la terminer. On juge sans peine ce qu’elle dut lui coûter de soins et de fatigues dans ces contrées presque désertes, coupées de rivières, de lacs et de forêts, et qui n’étaient presque habitées que par des peuples sauvages et féroces. La peine et la perte. de temps qu’entraînait la manière de voyager dans ces régions, les observations astronomiques et les calculs qui en résultaient, les opérations géodésiques, la description du pays et de ses habitants indigènes, la correspondance avec ses chefs, enfin l’accomplissement des devoirs qui lui étaient prescrits ne suffisaient pas à Azara pour remplir le vide que lui laissait l’éloignement de sa patrie et des siens. Voulant connaître les mammifères et les oiseaux, il devint naturaliste. D’abord il ne fit la guerre à ces animaux que pour les dépouiller, en conserver les peaux et les transporter en Europe ; mais comme elles s’altéraient et se corrompaient, il prit le parti de décrire chaque individu. Après avoir consacré beaucoup de temps et s’être donné beaucoup de peines pour connaître les pays où le sort l’avait jeté et le forçait de séjourner, Azara voulut savoir ce qui avait été écrit avant lui sur le même sujet. Il entreprit de lire tous les ouvrages imprimés et manuscrits qu’il put trouver dans les archives de la ville de l’Assomption : mais le gouverneur, homme ignorant et jaloux, fit fermer les archives et en ôta les clefs à celui qui en avait la garde, pour les envoyer à un de ses confidents qui était à trente lieues dans l’intérieur. Prié par le corps de ville de l’Assomption de lui communiquer un extrait de ses travaux sur les pays qu’il avait levés et parcourus, Azara s’empressa de le lui offrir ; on en fut tellement satisfait, qu’on lui conféra le titre de citoyen le plus distingué de la ville de l’Assomption. Un nouveau gouverneur, homme hypocrite et envieux, fut si irrité de cette distinction, qu’il fit enlever secrètement des archives de la cité les objets envoyés par Azara, ainsi que le registre sur lequel était écrit son titre de citoyen. Malgré ses précautions pour cacher cet abus d’autorité, le vol devint public ; alors il écrivit à tous les ministres, à Madrid, qu’Azara n’avait dressé ses cartes et composé ses mémoires que pour les livrer aux Portugais. En 1190, six grosses malles remplies d’effets précieux ayant été envoyées à cet indigne chef, par le gouverneur portugais de Matogrosso qui tâchâit de le corrompre, il eut l’infamie de profiter de cette circonstance pour appuyer ses calomnies, et répandit le bruit que tous ces présents étaient destinés à Azara ; il le manda au vice-roi, à Buenos-Ayres, et celui-ci s’empara de toutes les cartes de cet ingénieur et de tous les papiers qui lui appartenaient, et dont il put se saisir. Azara dédaigna de répondre à des imputations aussi horribles et aussi absurdes ; il prit seulement la précaution de déposer entre les mains d’un moine digne de sa confiance la principale partie de ses ouvrages ; en cela il agit sagement, car jamais il n’a pu recouvrer les papiers enlevés par le vice-roi. Quant au gouverneur, voulant se faire passer auprès des ministres du roi pour auteur d’une histoire naturelle des oiseaux et des mammifères du pays qu’il régissait, il essaya, par de basses adulations et même par la force, d’obtenir