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HISTOIRE DE FRANCE.

Christ lui apparut couvert de cette moitié de manteau dont il avait revêtu le pauvre.

« Lorsque les barbares envahirent la Gaule, l’empereur Julien rassembla son armée et fit distribuer le donativum… Quand ce fut au tour de Martin : « Jusqu’ici, dit-il à César, je t’ai servi ; permets-moi de servir Dieu ; je suis soldat du Christ, je ne puis plus combattre… Si l’on pense que ce n’est pas foi, mais lâcheté, je viendrai demain sans armes au premier rang ; et au nom de Jésus, mon Seigneur, protégé par le signe de la croix, je pénétrerai sans crainte dans les bataillons ennemis. » Le lendemain l’ennemi envoie demander la paix, se livrant corps et biens. Qui pourrait douter que ce fût là une victoire du saint, qui fut ainsi dispensé d’aller sans armes au combat ?

« En quittant les drapeaux, il alla trouver saint Hilaire, évêque de Poitiers, qui voulut le faire diacre… mais Martin refusa, se déclarant indigne ; et l’évêque, voyant qu’il fallait lui donner des fonctions qui parussent humiliantes, le fit exorciste… Peu de temps après, il fut averti en songe de visiter, par charité religieuse, sa patrie et ses parents, encore plongés dans l’idolâtrie, et saint Hilaire voulut qu’il partit, en le suppliant avec larmes de revenir. Il partit donc, mais triste, dit-on, et après avoir prédit à ses frères qu’il éprouverait bien des traverses. Dans les Alpes, en suivant des sentiers écartés, il rencontra des voleurs… L’un d’eux l’emmena les mains liées derrière le dos… mais il lui prêcha la parole de Dieu, et le voleur eut foi : depuis, il mena une vie religieuse, et c’est de lui que je tiens cette histoire. Martin continuant sa route, comme il passait près de Milan, le diable s’offrit à lui sous forme humaine, et lui demanda où il allait ; et comme Martin lui répondit qu’il allait où l’appelait le Seigneur, il lui dit : « Partout où tu iras, et quelque chose que tu entreprennes, le diable se jettera à la traverse. » Martin répondit ces paroles prophétiques : « Dieu est mon appui, je ne craindrai pas ce que l’homme peut faire. » Aussitôt l’ennemi s’évanouit de sa présence. — Il fit abjurer à sa mère l’erreur du paganisme ; son père persévéra dans le mal. — Ensuite, l’hérésie arienne s’étant propagée par tout le monde, et surtout en Illyrie, il combattit seul avec courage la perfidie des prêtres, et souffrit mille tourments (il fut frappé de verges et chassé de la ville)… Enfin il se retira à Milan, et s’y bâtit un monastère. — Chassé par Auxentius, le chef des ariens, il se réfugia dans l’île Gallinaria, où il vécut longtemps de racines.