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DESTINÉE DE LA RACE CELTIQUE

Ne nous exagérons donc ni l’élément primitif du génie celtique, ni les additions étrangères. Les Celtes y ont fait sans doute, Rome aussi, la Grèce aussi, les Germains encore. Mais qui a uni, fondu, dénaturé ces éléments, qui les a transmués, transfigurés, qui en a fait un corps, qui en a tiré notre France ? La France elle-même, par ce travail intérieur, par ce mystérieux enfantement mêlé de nécessité et de liberté, dont l’histoire doit rendre compte. Le gland primitif est peu de chose en comparaison du chêne gigantesque qui en est sorti. Qu’il s’enorgueillisse, le chêne vivant qui s’est cultivé, qui s’est fait et se fait lui-même !

Et d’abord, est-ce aux Grecs qu’on veut rapporter la civilisation primitive des Gaules ? On s’est évidemment exagéré l’influence de Marseille. Elle put introduire quelques mots grecs dans l’idiome celtique[1] ; les Gaulois, faute d’écriture nationale, purent dans les occasions solennelles emprunter les caractères grecs[2] ; mais le génie hellénique était trop dédaigneux des barbares pour gagner sur eux une influence réelle. Peu nombreux, traversant le pays avec défiance et seulement pour les besoins de leur commerce, les Grecs différaient trop des Gaulois, et de race et de langue ; ils leur étaient trop supérieurs pour s’unir intimement avec eux. Il en était d’eux comme des Anglo-Américains à l’égard des sauvages leurs voisins ; ceux-ci s’enfoncent dans les terres et disparaissent peu à peu, sans participer à cette civilisation dispro-

  1. App. 39.
  2. Strabon.