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HISTOIRE DE FRANCE

Raimond Lulle pleura aux pieds de son Arbor[1], qui finissait la scolastique. Pétrarque pleura la poésie. Les grands mystiques d’alors avaient de même le sentiment de la fin. Le quatorzième siècle voit passer ces derniers génies ; chacun d’eux se tait, s’en va, éteignant sa lumière : il se fait d’épaisses ténèbres.

Il ne faut pas s’étonner si l’esprit humain s’effraye et s’attriste. L’Église ne le console pas. Cette grande épouse du moyen âge avait promis de ne pas vieillir, d’être toujours belle et féconde, de renouveler[2] toujours, de sorte qu’elle occupât sans cesse l’inquiète pensée de l’homme, l’inépuisable activité de son cœur. Cependant elle avait passé de la jeune vitalité populaire aux abstractions de l’école, à saint Thomas[3]. Dans sa tendance vers l’abstrait et le pur, la religion spiritualiste refusait peu à peu tout autre aliment que la logique. Noble régime, mais sobre, et qui finit par se composer de négations. Aussi elle allait maigrissant ; maigreur au quatorzième siècle, consomption au quinzième, effrayante figure de dépérissement et de phtisie, comme vous la voyez, à la face creuse, aux mains transparentes du Christ maudissant d’Orcagna.


Telles étaient les misères de cet âge, ses contradic-

  1. App. 155.
  2. App. 156.
  3. Saint Thomas, comme Albert-le-Grand, fait profession de partir toujours d’un texte, de commenter, rien de plus. Que sera-ce s’il est démontré qu’ils n’ont pas eu de texte sérieux, qu’ils ont marché constamment sur le chemin peu solide, perfide, des traductions les plus infidèles, et cela sans s’apercevoir que tel prétendu passage d’Aristote, par exemple, est anti-aristotélique. (Voy. Renaissance, Introduction. 1860.)