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L’ANGLETERRE. — AZINCOURT

L’on comprend combien la royauté et la propriété ecclésiastique avaient besoin de s’entendre, si l’on se rappelle que l’édifice tout artificiel de l’Angleterre au moyen âge a porté sur deux fictions : un roi infaillible et inviolable[1], que l’on jugeait pourtant de deux règnes en deux règnes ; d’autre part, une Église non moins inviolable, qui, au fond, n’étant qu’un grand établissement aristocratique et territorial sous prétexte de religion, se voyait toujours à la veille d’être dépouillée, ruinée.

La maison cadette de Lancastre unit pour la première fois les deux intérêts en péril ; elle associa le roi et l’Église. Ce fut sa légitimité, le secret de son prodigieux succès. Il faut indiquer, rapidement du moins, la longue, oblique et souterraine route par où elle chemina.

Le cadet hait l’aîné, c’est la règle[2], mais nulle part plus respectueusement qu’en Angleterre, plus sournoisement[3]. Aujourd’hui il va chercher fortune, le monde lui est ouvert, l’industrie, la mer, les Indes ;

  1. Les Anglais ont porté dans le droit politique ce génie de fiction que les Romains n’avaient montré que dans le droit civil. M. Allen, dans son livre sur la Prérogative royale, a résumé les prodigieux tours de force au moyen desquels se jouait cette bizarre comédie, chacun faisant semblant de confondre le roi et la royauté, l’homme faillible et l’idée infaillible. De temps en temps la patience échappait, la confusion cessait et l’abstraction se faisait d’une manière sanglante ; si le roi ne périssait (comme Édouard II, Richard II, Henri VI et Charles Ier), il était renversé, ou tout au moins humilié, réduit à l’impuissance (Henri II, Jean, Henri III, Jacques II).
  2. Bien entendu, là où il y a privilège pour l’aîné.
  3. Ceci est moins vrai depuis que l’Angleterre a créé une immense propriété mobilière, qui se partage selon l’équité. La propriété territoriale reste assujettie aux lois du moyen âge. — Au reste, le droit d’aînesse est dans les mœurs, dans les idées même du peuple. J’ai cité à ce sujet une anecdote