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Même Dieu et même foi ! Les méconnaîtra-t-on, sous la différence du langage, dans ce mot du soldat patriote, qui, justement comme le Vendéen, avait déjà le fer au cœur : « Plantez-moi là l’arbre de liberté ! »

Le maire républicain de Rennes, Leperdit[1], un tailleur, qui sauva cette ville et de la Terreur et de la Vendée, est assailli un jour d’une populace furieuse, qui, sous prétexte de famine, veut lapider ses magistrats. Il descend, intrépide, de l’Hôtel de Ville, au milieu d’une grêle de pierres ; blessé au front, il essuie son sang en souriant et dit : « Je ne puis pas changer les pierres en pain… Mais si mon sang peut vous nourrir, il est à vous jusqu’à la dernière goutte. » Ils tombèrent à genoux… Ils voyaient quelque chose par delà l’Évangile.

On a reproché à la Révolution de n’être pas chrétienne ; elle fut davantage. Le mot de Leperdit, elle l’a réalisé. De quoi le monde a-t-il vécu, sinon du sang de la France ? Si elle est blême et pâle, ne vous étonnez pas. — Qui peut douter aussi qu’elle n’ait changé les pierres en pain ? Elle se dit en 1789 : « Je ne peux pas nourrir vingt-quatre millions d’hommes… Eh bien, j’en nourrirai trente-cinq. » Elle a tenu parole.

  1. Je donnerai ailleurs la vie de ce grand citoyen, et je la donnerai dans les propres paroles de celui qui me l’a transmise, le jeune M. Lejean, le futur historien de la Bretagne ; nul n’a droit plus que lui de conter la vie des héros, il a leur âme en lui.