Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/48

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belle à tout ce qui existe de beau dans la nature, et, bien entendu, lui réservaient toujours l’avantage; les autres, beaucoup plus gais qu’ils ne croyaient l’être, démontraient leur passion en termes et en formules scolastiques. Tous enfin prétendaient à la finesse: il ne tenait pas à eux qu’ils n’eussent presque autant d’esprit que les bergers de Fontenelle.

Après avoir traversé plusieurs siècles sans rencontrer une Élégie française digne d’être citée, il faut se résigner à n’en trouver, pour ainsi dire, qu’une seule dans le grand siècle; quoique fort distinguée, elle fait encore plus d’honneur aux lettres qu’à la poésie: elle est plutôt encore une belle action qu’un bel ouvrage. Je veux parler de la courageuse Élégie de La Fontaine[1], sur la disgrâce de Fouquet. On sait par cœur (et jamais expression ne fut plus convenable), ce vers échappé de l’âme:

Et c’est être innocent que d’être malheureux.


L’âme de La Fontaine était formée pour l’Élégie. Un fonds de tristesse aussi naïve que sa gaieté, se fait sentir dans ses Fables inimitables. Que de sentiments naturels semés avec mélancolie au milieu de ses récits les plus animés ! S’il commence à dépeindre

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre..


après ces beaux vers, si, reprenant le ton de la fable, il poursuit gaîment[2]:

La peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)

Faisait aux animaux la guerre;


bientôt il ajoute, avec un rare bonheur:

  1. poète, fabuliste et conteur français (1621 — 1695)
  2. S'écrit aussi gaiement.