Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/54

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reconnaît l’amour inventé ou l’amour traduit. Sans doute on aime à rencontrer dans ses lectures quelque heureuse imitation de l’antiquité; mais on ne saurait les employer avec trop de retenue dans les vers erotiques destinés surtout aux femmes et aux gens du monde. L’une des plus belles Élégies de Berlin commence par ce superbe mouvement :

Elle est à moi. Divinités du Pinde !
De vos lauriers ceignez mon front vainqueur;
Elle est à moi.


Malheureusement il ajoute :

Que les maîtres de l'Inde
Portent envie au maître de son cœur


Il s’agit bien des maîtres de l’Inde ! La comparaison est toute latine, en supposant qu’il y ait comparaison entre les maîtres d’un pays et le maître d’un cœur. Je ne parle pas de l’étrange effet du Pinde et de l’Inde qu’on semble avoir fait rimer par gageure. On ne trouverait pas une seule faute semblable dans le rival de Bertin. Lors même qu’il demeure dans la région tempérée de la poésie, son vers, toujours élégant, renferme un sentiment si naturel qu’il perdrait quelque chose à devenir plus poétique. Il descend à l’extrême simplicité sans jamais tomber dans le prosaïsme. Bertin, dont le style est quelquefois plus élevé, ne s’abaisse presque jamais que par une chute. Veut-il exprimer l’effet que produisit un jour sa maîtresse paraissant au spectacle, il s’en acquitte par cette ligne de prose familière :

On lui battit des mains, on la prit pour la reine.


A-t-il à décrire l’instant mystérieux qui précède le bonheur d’une nuit d’amour; affectant une simplicité que je n’ose qualifier, il représente la belle Eucharis,