Page:Millevoye - Œuvres complètes de Millevoye, I, 1837, éd. Pongerville.djvu/78

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LE DÉGUISEMENT.


L’airain neuf fois a frappé l’heure :
Loin d’une indiscrète demeure,
Echappons-nous, seuls et sans bruit ;
Usant d’une innocente adresse,
Prends les voiles de la vieillesse
Pour tromper l’œil qui nous poursuit.
Telle on voit une main fidèle
Couvrir du chaume protecteur
La timide et pâle fraîcheur
De la tige aimable et nouvelle.
Défends à ces cheveux flottants
De trahir nos métamorphoses,
Et que l’hiver dise au printemps
De cacher ses lis et ses roses.
Retiens le tendre empressement
De ton pas qui se précipite,
Et chemine aussi lentement
Que ton ami quand il te quitte.
Sachons un moment contenir
Ce feu d’amour qui nous dévore :
Un moment, un moment encore,
Et l’imposture va finir.
Les baisers de la jeune Aurore
Ont vieilli l’amant qu’elle adore,
Et les miens vont te rajeunir.
Mais, à cette enivrante image,
Ton bras encor plus tendrement
Presse le mien : un doux nuage
S’abaisse sur ton œil charmant ;
Déjà ton âme s’abandonne
Au bonheur que tu dois goûter ;
Et l’antique voile s’étonne
De sentir un cœur palpiter.