Page:Mirabeau - Hic et Hec, 1968.djvu/20

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m’aimait avec la tendresse d’une amante. L’appartement de mon élève communiquait au sien par sa garde-robe ; et le soir, quand tout le monde était endormi, je passais dans son alcôve chercher le délire dans ses bras, et je rentrais chez moi avant le point du jour. Nous jouissions sans trouble de cette félicité, quand Valbouillant revint de son voyage, après avoir terminé ses affaires.

Je lui fus présenté ; je lui parus bien jeune pour un instituteur. Connaissant le tempérament de son épouse, il se douta bien qu’elle ne me laissait pas donner exclusivement tous mes soins à mon élève ; mais il n’était pas jaloux, et le séjour qu’il avait fait à Florence l’ayant accoutumé aux plaisirs socratiques, et ma figure le séduisant, il crut faire servir la faiblesse de sa femme pour moi à s’assurer de mes complaisances. Il feignit le soir un mal de tête, s’excusa de coucher seul dans son appartement, lui disant en l’embrassant tendrement qu’il espérait s’en dédommager quand cette indisposition imprévue ne le contrarierait plus. Elle me fit alors un signe, que je compris à merveille. Quand je le crus retiré, je m’introduisis dans le lit de ma belle, et nous nous hâtâmes de profiter d’une occasion que nous craignions ne pas retrouver de sitôt.

À peine étions-nous à l’œuvre, que nous vîmes paraître Valbouillant en chemise, un poignard à la main, qui, jetant la couverture et me saisissant de la main gauche, me dit :

— On ne m’outrage point impunément ; mais je suis humain, choisissez entre ces poignards.