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LE RIDEAU LEVÉ


mois ensemble, pendant lesquels elle m’instruisit de tout ce qu’elle avait appris de Courbelon et de Justine, qui l’avaient rendue très habile.

Les réflexions que j’ai faites depuis sur cette aventure et sur les réponses d’Isabelle aux différentes questions que je lui faisais m’ont fait voir que Courbelon avait jeté ses desseins sur ma cousine en suite du jour où elle l’avait trouvé sur Justine, et que, sous le prétexte de mieux engager Isabelle à garder le secret, il avait fait entendre à cette fille que le moyen le plus assuré était de l’admettre en tiers dans leurs plaisirs, autant que la petite oie pourrait s’étendre ; qu’enfin il avait su l’en convaincre et la faire donner dans le panneau qu’il leur tendait, sans quoi la jalousie que nous soupçonnions à Justine s’y serait difficilement prêtée.

Le temps que je passai chez ma tante fut trop tôt écoulé ; je fus rappelée par ma mère ; il fallut nous séparer. Nous ne nous quittâmes pas sans regret, et nous ne pûmes en venir à cette séparation sans verser bien des larmes. Ma tante en fut touchée, et me promit qu’elle ferait tout ce qui dépendrait d’elle pour me ravoir encore. Elle et ma cousine, qui pouvaient jouir d’une agréable liberté, me plaignaient, n’envisageant pour moi que des jours bien tristes et remplis d’ennui, avec une mère dévote qui ne voyait personne. Je le croyais comme elles, mais nous avions toutes tort.