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LE RIDEAU LEVÉ

Arrivée chez ma mère, je mis à profit tout ce que j’avais appris du hasard et d’Isabelle : comme elle je me procurais tous les jours les sensations les plus délicieuses du plaisir, souvent même j’en redoublais la dose ; mon imagination échauffée n’était remplie que des idées qui y avaient rapport. Je ne pensais qu’aux hommes, je fixais mes regards et mes désirs sur tous ceux que je voyais ; les yeux attachés sur l’endroit où je savais que reposait l’idole que j’aurais encensée, animaient mes désirs, dont le feu se répandait jusqu’aux extrémités de mon corps. Ce fut dans cet instant que Vernol revint passer ses vacances chez ma mère ; il avait un an et demi plus que moi. Ah ! que je le trouvai beau ! j’en fus surprise ; jusque-là ses charmes m’avaient échappé. Il est vrai que l’âge à peu près égal de l’enfance nous avait toujours donné beaucoup d’amitié l’un pour l’autre, mais dans ce moment ce fut tout autre chose ; il réunit tous mes désirs, une ardeur dévorante s’empara de tous mes sens, je ne vis plus que lui, toutes mes idées s’y concentrèrent. Depuis longtemps je souhaitais d’examiner de près et de toucher ce que je n’avais fait qu’entrevoir à Courbelon. Je sentais que j’étais trop jeune pour me flatter de devenir l’objet des desseins d’un homme plus âgé, et me persuadant que leur instrument grossissait à la mesure de leurs années, les douleurs d’Isabelle m’effrayaient ; d’ailleurs je ne voyais personne