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LE RIDEAU LEVÉ


religieuses. Des béguines emmiellées et trompeuses ont entouré de murs et de grilles ma jeunesse sans expérience, et l’ont attirée dans leur cachot infernal. Mon ignorance, des vœux, des préjugés sont mes tourments ; les désirs, mes bourreaux, et j’en suis la victime. La nuit, le sommeil est loin de mes yeux, et les larmes s’en emparent ; le jour, tout me déplaît et m’ennuie ; mon âme est absorbée : juge de mon état ! Libre comme tu es, tu peux au moins sans crainte livrer à l’amant que tu chéris les appas que j’ai vus et que je touche.

Ta main, que tu mis sur mon sein, me fit frissonner :

— Ah ! chère Eugénie, te dis-je avec transport, voilà le jour de mon désespoir ! je l’ai perdu cet amant que j’adorais, et la mort me l’a ravi. Dieu ! que n’est-il ici ! mais c’est lui, oui, c’est lui que je tiens !

Je te serrais dans mes bras ; ta me faisais illusion. Hélas ! le détail de tes charmes que je parcourus me rendit à moi-même ; ce qui te manquait détruisit le prestige de mon imagination et le fantôme qu’elle se créait ; cependant tes attraits répandirent sur ma langue tous les éloges que tu méritais si bien. Ton sein, ta taille, tes fesses, tes cuisses, ta motte et ta peau, tout en fut un sujet pour moi.

— Quel plaisir ! m’écriai-je, pour ton amant et pour toi, s’il te tenait dans ses bras comme je te serre dans les miens !

Tu désirais t’instruire, tu voulais savoir,