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LE RIDEAU LEVÉ


blanche, qui, s’élançant avec impétuosité, se répandit sur les fesses de Lucette. Conçois, chère Eugénie, dans quelle situation je me trouvais moi-même, ayant sous mes yeux un pareil tableau ! Vivement émue, emportée par des désirs que je n’avais pas encore connus, je tâchai au moins de participer à leur ivresse ; chère amie, que ce retour sur mes jeunes années est encore agréable pour moi !

Enfin, l’attrait du plaisir me retint trop longtemps dans mon embuscade, et mon imprudence me trahit. Mon père, qui jusque-là avait été trop hors de lui pour penser à ce qui l’entourait, vit, en se dégageant des bras de Lucette, le coin du rideau levé ; il m’aperçut ; il s’enveloppa dans sa robe, en s’approchant de la porte ; je me retirai avec précipitation ; il vint examiner le rideau, et y découvrit ma manœuvre ; il se fixa près de la porte pendant que Lucette se rhabillait. Voyant qu’il restait, je m’imaginai qu’il n’avait rien aperçu ; curieuse de ce qu’ils faisaient encore dans cette chambre, je retournai au carreau : quelle fut ma surprise quand j’y vis le visage de mon père ! La foudre tombée sur moi ne m’eût pas causé plus de frayeur. Mon stratagème n’avait pas entièrement réussi ; le rideau n’avait pu redescendre de lui-même, comme je m’en étais flattée ; cependant, il ne fit semblant de rien dans cet instant. J’avais aperçu que Lucette était déjà rhabillée ; il revint avec elle, et l’envoya veiller à l’ordre de la mai-