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LE RIDEAU LEVÉ


son. Je me trouvai seule avec lui ; il s’approcha pour examiner l’ouvrage que j’avais eu à faire ; juge, ma chère, à quel point il en était ! J’étais pâle et tremblante. Quel fut mon étonnement quand ce cher et tendre papa me prit dans ses bras et me donna cent baisers !

— Rassure-toi, ma chère Laurette : qui peut t’inspirer la terreur où je te vois ? Ne crains rien, ma chère fille, tu sais la manière dont j’ai toujours agi vis-à-vis de toi ; je ne te demande rien que la vérité ; je désire que tu me regardes plutôt comme ton ami que comme ton père. Laure, je ne suis que ton ami ; je veux qu’en cette qualité tu sois sincère avec moi ; ma Laure, je l’exige aujourd’hui ; ne me déguise rien, et dis-moi ce que tu faisais pendant que j’étais avec Lucette, et pourquoi l’arrangement singulier de ce rideau ? Sois vraie, je t’en conjure, et sans détours, tu n’auras pas lieu de t’en repentir, mais si tu ne l’es pas, tu me refroidis pour toi, et tu peux compter sur un couvent.

Le nom de cette retraite m’avait toujours effrayée. Que je la connaissais peu ! Je mettais alors une différence totale à être renfermée dans ce séjour ou à être chez mon père ; d’ailleurs, je ne pouvais pas douter qu’il ne fût assuré que j’avais tout vu, et je m’étais enfin toujours si bien trouvée de ne lui avoir jamais caché la vérité, que je ne balançai point à lui rendre compte de tout ce qui m’était connu depuis l’instant où il m’avait