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LE RIDEAU LEVÉ


celle de Laure, qui y est assez intéressée pour le garder ; il est même nécessaire, par les circonstances, de vous en faire part à l’une et à l’autre. Il y avait quinze jours que je connaissais sa mère quand je l’épousai. Je découvris, dès le premier jour, l’état où elle était ; je trouvai qu’il était de la prudence de n’en rien faire paraître… Je la menai dans une province éloignée, sous un nom de terre, afin qu’on ne pût rassembler les dates. Au bout de quatre mois, Laure vint au monde, jouissant de la force et de la santé d’un enfant de neuf mois bien accomplis. Je restai six mois encore dans la même province, et je les ramenai toutes deux au bout de ce terme. Vous voyez à présent, l’une et l’autre, que cette enfant qui m’est devenue si chère n’est pas ma fille suivant la nature. Absolument étrangère pour moi, elle n’est ma fille que par affection ; le scrupule intérieur ne peut donc exister, et toute autre considération m’est indifférente, avec de la prudence.

Je me souvins aussitôt de la réponse qu’il avait faite à ma mère : le silence qu’elle observa dans ce moment ne me parut plus extraordinaire ; je le dis à Lucette, dont l’étonnement cessa d’abord :

— Mais comment donc en avez-vous agi vis-à-vis de votre épouse, lorsque cet événement fut à votre connaissance ?

— Tout simplement ; j’ai vécu toujours avec elle d’une manière indifférente, et je ne