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LE RIDEAU LEVÉ


avaient fait prendre pour moi une affection dont je ne puis, ma chère, te donner d’idée que d’après la tienne. Elle m’avait vue bien des fois, au milieu de nos caresses, violemment animée, et dans ces moments elle m’assurait qu’elle désirait que je fusse au terme où elle pût aussi me procurer, sans danger, les mêmes plaisirs que je lui donnais. Elle souhaitait que mon papa me l’eût mis, et eût ouvert la route sur laquelle ils sont semés :

— Oui, ma chère Laure, disait-elle, quand cet instant arrivera, je projette d’en faire une fête ; je l’attends avec empressement ; mais, ma chère amie, je crois apercevoir qu’il ne tardera pas : tes tétons naissants sont presque formés ; tes membres s’arrondissent ; ta motte se rebondit ; elle est déjà toute couverte d’un tendre gazon ; ton petit conin est d’un incarnat admirable, et j’ai cru découvrir dans tes yeux que la nature veut qu’on te mette bientôt au rang des femmes ; l’année dernière, au printemps, tu vis des préludes d’une éruption qui va s’établir tout à fait.

En effet, je ne tardai pas à me sentir plus pesante, la tête chargée, les yeux moins vifs des douleurs de reins et des sensations d’une colique extraordinaire pour moi ; enfin, huit ou dix jours après, Lucette trouva la gondole ensanglantée ; mon père ne me la remit pas ; ils avaient pressenti l’effet de ma situation ; j’en étais prévenue. Je restai près de neuf jours dans cet état, après lesquels je re-