Page:Mirabeau - Le Rideau levé ou l'éducation de Laure, 1882.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
64
LE RIDEAU LEVÉ


reparaître, et je la branlai. Elle ne tarda pas à tomber dans l’extase où je venais de sortir.

Ah ! chère Eugénie, que ce jour eut de charme pour moi ! Je te l’avoue, tendre amie, il a été le plus beau de ma vie et le premier où j’aie connu les délices de la volupté dans leur plus haut degré. Je le rappelle encore à ma mémoire avec un saisissement de satisfaction que je ne peux te rendre, mais, en même temps, avec un cruel serrement de cœur. Faut-il que ce souvenir, qui me cause tant de plaisir et de joie, fasse naître, en même temps, les regrets les plus amers ! Écartons, pour un moment, cette image si triste pour mon âme.

Il régnait dans ce cabinet une douce chaleur ; je me trouvais si bien dans l’état où j’étais, que je ne voulus rien mettre sur moi ; j’étais d’une gaîté folle : je prétendis souper parée de mes seuls appas. Lucette, attentive, avait eu le soin d’écarter tous les domestiques et de jeter un voile épais sur la malignité de leurs regards ; elle eut la complaisance d’apporter seule et de préparer tout ce qu’il fallait, et ferma les portes avec soin. Je ne fus pas contente que je ne l’eusse mise dans la situation où nous étions ; je fis voler loin d’elle tout ce qui la couvrait ; elle était charmante à mes yeux. Nous nous mîmes à table. Mon papa était entre nous deux l’objet de nos caresses, qu’il nous rendait tour à tour. Les glaces répétaient cette charmante scène ;