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ACTE II, SCÈNE IX.

Ariste.
La raison est fort belle, et c’est faire un grand pas.
Avez-vous su du moins lui proposer Clitandre ?

Chrysale.
Non ; car, comme j’ai vu qu’on parloit d’autre gendre,
J’ai cru qu’il étoit mieux de ne m’avancer point.

Ariste.
Certes, votre prudence est rare au dernier point.
N’avez-vous point de honte, avec votre mollesse ?
Et se peut-il qu’un homme ait assez de foiblesse
Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu,
Et n’oser attaquer ce qu’elle a résolu ?

Ariste.
Mon Dieu ! vous en parlez, mon frère, bien à l’aise,
Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse.
J’aime fort le repos, la paix et la douceur,
Et ma femme est terrible avecque son humeur ;
Du nom de philosophe elle fait grand mystère[1] :
Mais elle n’en est pas pour cela moins colère ;
Et sa morale, faite à mépriser le bien,
Sur l’aigreur de sa bile opère comme rien.
Pour peu que l’on s’oppose à ce que veut sa tête,
On en a pour huit jours d’effroyable tempête.
Elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton ;
Je ne sais où me mettre, et c’est un vrai dragon ;
Et cependant, avec toute sa diablerie,
Il faut que je l’appelle et mon cœur et ma mie[2].

Ariste.
Allez, c’est se moquer. Votre femme, entre nous,
Est, par vos lâchetés, souveraine sur vous.
Son pouvoir n’est fondé que sur votre foiblesse.
C’est de vous qu’elle prend le titre de maîtresse.
Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez,
Et vous faites mener en bête par le nez.
Quoi ! vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme,
Vous résoudre une fois à vouloir être un homme,

  1. Dans le sens de grand embarras
  2. Imitation de Plaute. Dans la Casina, acte II, scène II, Stalinon dit, en apercevant sa femme : « Je la vois là avec son air renfrogné et maussade ; il me faut pourtant aborder tendrement cette furie. Ma petite femme, ma mignonne, que fais-tu là ? » (Aimé Martin.)