Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/569

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
559
ACTE IV, SCÈNE II.

Et sans faire de tort à vos beaux sentiments[1],
Je vois que, dans le monde, on suit fort ma méthode,
Et que le mariage est assez à la mode,
Passe pour un lien assez honnête et doux,
Pour avoir desiré de me voir votre époux,
Sans que la liberté d’une telle pensée
Ait dû vous donner lieu d’en paraître offensée.

Armande.
Hé bien ! monsieur, hé bien ! puisque, sans m’écouter,
Vos sentiments brutaux veulent se contenter ;
Puisque, pour vous réduire à des ardeurs fidèles,
Il faut des nœuds de chair, des chaînes corporelles,
Si ma mère le veut, je résous mon esprit
À consentir pour vous à ce dont il s’agit.

Clitandre.
Il n’est plus temps, madame ; une autre a pris la place ;
Et, par un tel retour, j’aurois mauvaise grace
De maltraiter l’asile et blesser les bontés
Où je me suis sauvé de toutes vos fiertés.

Philaminte.
Mais enfin comptez-vous, monsieur, sur mon suffrage,
Quand vous vous promettez cet autre mariage ?
Et, dans vos visions, savez-vous, s’il vous plaît,
Que j’ai pour Henriette un autre époux tout prêt ?

Clitandre.
Hé ! madame, voyez votre choix, je vous prie ;
Exposez-moi, de grace, à moins d’ignominie,
Et ne me rangez pas à l’indigne destin
De me voir le rival de Monsieur Trissotin.
L’amour des beaux esprits qui chez vous m’est contraire
Ne pouvoit m’opposer un moins noble adversaire.
Il en est, et plusieurs, que, pour le bel esprit
Le mauvais goût du siècle a su mettre en crédit,
Mais Monsieur Trissotin n’a pu duper personne,
Et chacun rend justice aux écrits qu’il nous donne.
Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu’il vaut ;
Et ce qui m’a vingt fois fait tomber de mon haut,
C’est de vous voir au ciel élever des sornettes,
Que vous désavoueriez si vous les aviez faites.

  1. Var. : Et sans faire de tort à vos bons sentiments.