Page:Molière - Œuvres complètes, Garnier, 1904, tome 02.djvu/24

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Je serai mieux en main pour vous conter la chose :
J’ai donc vu ce sanglier, qui par nos gens chassé
Avait d’un air affreux tout son poil hérissé ;
Ces deux yeux flamboyants ne lançaient que menace,
Et sa gueule faisait une laide grimace,
Qui parmi de l’écume à qui l’osait presser
Montrait de certains crocs… Je vous laisse à penser ?
À ce terrible aspect j’ai ramassé mes armes ;
Mais le faux animal sans en prendre d’alarmes
Est venu droit à moi, qui ne lui disais mot.

Arbate
Et tu l’as de pied ferme attendu ?

Moron
Quelque sot.
J’ai jeté tout par terre, et couru comme quatre.

Arbate
Fuir devant un sanglier ayant de quoi l’abattre,
Ce trait, Moron, n’est pas généreux…

Moron
J’y consens,
Il n’est pas généreux, mais il est de bon sens.

Arbate
Mais par quelques exploits, si l’on ne s’éternise…

Moron
Je suis votre valet, et j’aime mieux qu’on dise,
"C’est ici qu’en fuyant sans se faire prier
Moron sauva ses jours des fureurs d’un sanglier",
Que si l’on y disait, "Voilà l’illustre place
Où le brave Moron, d’une héroïque audace,
Affrontant d’un sanglier l’impétueux effort
Par un coup de ses dents vit terminer son sort."

Euryale
Fort bien…

Moron
Oui j’aime mieux, n’en déplaise à la gloire,
Vivre au monde deux jours que mille ans dans l’histoire.

Euryale
En effet ton trépas fâcherait tes amis ;
Mais si de ta frayeur ton esprit est remis
Puis-je te demander si du feu qui me brûle…

Moron