Page:Molière - Œuvres complètes, Garnier, 1904, tome 02.djvu/25

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Il ne faut point, Seigneur, que je vous dissimule,
Je n’ai rien fait encore, et n’ai point rencontré
De temps pour lui parler qui fût selon mon gré :
L’office de bouffon a des prérogatives ;
Mais souvent on rabat nos libres tentatives :
Le discours de vos feux est un peu délicat,
Et c’est chez la Princesse une affaire d’État ;
Vous savez de quel titre elle se glorifie,
Et qu’elle a dans la tête une philosophie
Qui déclare la guerre au conjugal lien,
Et vous traite l’Amour de déité de rien :
Pour n’effaroucher point son humeur de tigresse,
Il me faut manier la chose avec adresse ;
Car on doit regarder comme l’on parle aux grands,
Et vous êtes parfois d’assez fâcheuses gens.
Laissez-moi doucement conduire cette trame,
Je me sens là pour vous un zèle tout de flamme,
Vous êtes né mon prince, et quelques autres nœuds
Pourraient contribuer au bien que je vous veux :
Ma mère dans son temps passait pour assez belle,
Et naturellement n’était pas fort cruelle ;
Feu votre père alors, ce prince généreux,
Sur la galanterie était fort dangereux,
Et je sais qu’Elpénor, qu’on appelait mon père,
À cause qu’il était le mari de ma mère,
Contait pour grand honneur aux pasteurs d’aujourd’hui
Que le prince autrefois était venu chez lui,
Et que durant ce temps il avait l’avantage
De se voir salué de tous ceux du village :
Baste, quoi qu’il en soit je veux par mes travaux :
Mais voici la Princesse, et deux de vos rivaux.


Scène 3

La Princesse d’Élide parut ensuite, avec les princes de Messène et de Pyle, lesquels firent remarquer en eux des caractères bien différents de celui du prince d’Ithaque ; et lui cédèrent dans le cœur de la Princesse tous les avantages qu’il y pouvait désirer. Cette aimable Princesse ne témoigna pas pourtant que le mérite de ce Prince eût fait aucune impression sur son esprit, et qu’elle l’eût quasi remarqué ; elle témoigna toujours, comme une autre Diane, n’aimer que la chasse et les forêts, et lorsque le prince de Messène voulut lui faire valoir le service qu’il lui avait rendu, en la défaisant d’un fort grand sanglier qui l’avait attaquée ; elle lui dit que sans rien diminuer de sa reconnaissance, elle trouvait son secours d’autant moins considérable, qu’elle en avait tué toute seule d’aussi furieux, et fût peut-être bien encore venue à bout de celui-ci.

La Princesse et sa suite, Aristomène, Théocle, Euryale, Arbate, Moron.

Aristomène
Reprochez-vous, Madame, à nos justes alarmes
Ce péril dont tous deux avons sauvé vos charmes ?
J’aurais pensé pour moi qu’abattre sous nos coups
Ce sanglier qui portait sa fureur jusqu’à vous,
Etait une aventure (ignorant votre chasse)