Page:Molière - Œuvres complètes, Garnier, 1904, tome 02.djvu/26

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Dont à nos bons destins nous dussions rendre grâce :
Mais à cette froideur je connais clairement
Que je dois concevoir un autre sentiment,
Et quereller du sort la fatale puissance
Qui me fait avoir part à ce qui vous offense.

Théocle
Pour moi je tiens, Madame, à sensible bonheur
L’action où pour vous a volé tout mon cœur,
Et ne puis consentir malgré votre murmure
À quereller le sort d’une telle aventure :
D’un objet odieux je sais que tout déplaît ;
Mais dût votre courroux être plus grand qu’il n’est,
C’est extrême plaisir, quand l’amour est extrême,
De pouvoir d’un péril affranchir ce qu’on aime.

La Princesse
Et pensez-vous, Seigneur, puisqu’il me faut parler,
Qu’il eût en ce péril de quoi tant m’ébranler ?
Que l’arc, et que le dard, pour moi si pleins de charmes,
Ne soient entre mes mains que d’inutiles armes ?
Et que je fasse, enfin, mes plus fréquents emplois
De parcourir nos monts, nos plaines et nos bois,
Pour n’oser en chassant concevoir l’espérance
De suffire moi seule à ma propre défense ?
Certes avec le temps j’aurais bien profité
De ces soins assidus dont je fais vanité
S’il fallait que mon bras, dans une telle quête,
Ne pût pas triompher d’une chétive bête ;
Du moins si pour prétendre à de sensibles coups
Le commun de mon sexe est trop mal avec vous,
D’un étage plus haut accordez-moi la gloire,
Et me faites tous deux cette grâce de croire,
Seigneurs, que quel que fût le sanglier d’aujourd’hui,
J’en ai mis bas, sans vous, de plus méchants que lui.

Théocle
Mais, Madame…

La Princesse
Hé bien, soit. Je vois que votre envie
Est de persuader que je vous dois la vie ;
J’y consens. Oui sans vous c’était fait de mes jours,
Je rends de tout mon cœur grâce à ce grand secours,
Et je vais de ce pas au Prince pour lui dire