Page:Molière - Œuvres complètes, Garnier, 1904, tome 02.djvu/34

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Il y a deux vérités, Seigneur, aussi constantes l’une que l’autre, et dont je puis vous assurer également : l’une que vous avez un absolu pouvoir sur moi, et que vous ne sauriez m’ordonner rien où je ne réponde aussitôt par une obéissance aveugle. L’autre que je regarde l’hyménée ainsi que le trépas, et qu’il m’est impossible de forcer cette aversion naturelle : me donner un mari, et me donner la mort c’est une même chose ; mais votre volonté va la première, et mon obéissance m’est bien plus chère que ma vie : après cela parlez, Seigneur, prononcez librement ce que vous voulez.

Le Prince
Ma fille, tu as tort de prendre de telles alarmes, et je me plains de toi, qui peux mettre dans ta pensée que je sois assez mauvais père pour vouloir faire violence à tes sentiments, et me servir tyranniquement de la puissance que le Ciel me donne sur toi. Je souhaite à la vérité que ton cœur puisse aimer quelqu’un : tous mes vœux seraient satisfaits si cela pouvait arriver, et je n’ai proposé les fêtes et les jeux que je fais célébrer ici, qu’afin d’y pouvoir attirer tout ce que la Grèce a d’illustre ; et que parmi cette noble jeunesse, tu puisses enfin rencontrer où arrêter tes yeux et déterminer tes pensées. Je ne demande, dis-je, au Ciel autre bonheur que celui de te voir un époux : j’ai pour obtenir cette grâce fait encore ce matin un sacrifice à Vénus ; et si je sais bien expliquer le langage des dieux, elle m’a promis un miracle : mais quoi qu’il en soit je veux en user avec toi en père, qui chérit sa fille : si tu trouves où attacher tes vœux, ton choix sera le mien, et je ne considérerai ni intérêts d’Etat, ni avantages d’alliance. Si ton cœur demeure insensible, je n’entreprendrai point de le forcer : mais au moins sois complaisante aux civilités qu’on te rend, et ne m’oblige point à faire les excuses de ta froideur : traite ces princes avec l’estime que tu leur dois, reçois avec reconnaissance les témoignages de leur zèle, et viens voir cette course où leur adresse va paraître.

Théocle
Tout le monde va faire des efforts pour remporter le prix de cette course ; mais à vous dire vrai j’ai peu d’ardeur pour la victoire, puisque ce n’est pas votre cœur qu’on y doit disputer.

Aristomène
Pour moi, Madame, vous êtes le seul prix que je me propose partout : c’est vous que je crois disputer dans ces combats