Page:Molière - Œuvres complètes, Garnier, 1904, tome 02.djvu/42

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Princesse souhaite que vous l’abordiez : mais songez bien à continuer votre rôle, et de peur de l’oublier ne soyez pas longtemps avec elle.

La Princesse
Vous êtes bien solitaire, Seigneur, et c’est une humeur bien extraordinaire que la vôtre, de renoncer ainsi à notre sexe, et de fuir, à votre âge, cette galanterie, dont se piquent tous vos pareils.

Euryale
Cette humeur, Madame, n’est pas si extraordinaire, qu’on n’en trouvât des exemples sans aller loin d’ici, et vous ne sauriez condamner la résolution que j’ai prise de n’aimer jamais rien, sans condamner aussi vos sentiments.

La Princesse
Il y a grande différence, et ce qui sied bien à un sexe, ne sied pas bien à l’autre. Il est beau qu’une femme soit insensible, et conserve son cœur exempt des flammes de l’amour ; mais ce qui est vertu en elle, devient un crime dans un homme. Et comme la beauté est le partage de notre sexe, vous ne sauriez ne nous point aimer, sans nous dérober les hommages qui nous sont dus, et commettre une offense dont nous devons toutes nous ressentir.

Euryale
Je ne vois pas, Madame, que celles qui ne veulent point aimer, doivent prendre aucun intérêt à ces sortes d’offenses.

La Princesse
Ce n’est pas une raison, Seigneur, et sans vouloir aimer, on est toujours bien aise d’être aimée.

Euryale
Pour moi je ne suis pas de même, et dans le dessein où je suis, de ne rien aimer, je serais fâché d’être aimé.

La Princesse
Et la raison ?

Euryale
C’est qu’on a obligation à ceux qui nous aiment, et que je serais fâché d’être ingrat.

La Princesse
Si bien donc, que pour fuir l’ingratitude, vous aimeriez qui vous aimerait ?

Euryale
Moi ? Madame, point du tout. Je dis bien que je serais