Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/147

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passions. J’en ai reconnu quelques-uns à l’odeur, qui devaient sortir du porte-monnaie de telle ou telle grande dame. Quels qu’ils soient, je les tiens ; ils en liasses sur ma table au moment où je t’écris ; et quand ma main veut s’appuyer sur eux, ils la repoussent doucement, comme ferait un moelleux coussin.

« Ah ! le beau coussin, en effet ! Et celui-là n’est pas rembourré de remords, ainsi que le fameux oreiller dont nous parlent les mélodrames ; il ne m’occasionne d’autres insomnies que celles de la joie. Vivat donc ! Conviens-en, mon cher, il était temps, que ce renfort m’arrivât, car mes troupes désertaient à l’envi. Un instant de plus, et je n’avais que ma dignité d’homme pour tout bien. Franchement ce n’est pas assez pour quelqu’un qui a l’habitude des dîners du Café de Paris et des parties de whist du Club. Aussi je ne sais trop ce qu’il serait advenu de moi sans cette liasse bienheureuse. Oh ! parbleu, je ne me serais pas fait sauter la cervelle : tu sais que j’ai tous les courages. Quant au malheur proprement dit, il n’a rien qui m’épouvante ; il m’intéresse à l’égal d’un problème.

« Donc, voici l’argent qui est revenu à mon domicile. Mais sais-tu ce qui est revenu en même temps que l’argent ? (Tu vas te moquer de moi, et tu auras raison). L’amour, mon cher Léopold, l’amour ! Je suis plus rouge qu’un écolier en t’écrivant cela. Je croyais pourtant être bien guéri depuis Marianna ; suis-je donc condamné à toujours m’étonner moi-même ?

« Mais voyons, suis-je bien réellement amoureux ? Il faut que tu décides la question, et, pour cela, je vais me mettre en frais de narration vis-à-vis de toi. Si, comme je le présume, ma lettre t’arrive de bon matin, remets-en tranquillement la lecture après ton déjeuner, et, les lèvres encore brûlantes de café, l’œil éclairci, prends-moi comme tu prendrais un feuilleton ; tâche de comprendre mon enthousiasme en songeant combien l’objet est récent, excuse mes explosions de style et enfin sois indulgent pour le dialogue.

« C’est avant-hier jeudi 26 juillet 1844, à minuit et demi, que je suis tombé amoureux de la plus damnable fille du monde. Son portrait viendra plus tard ; tu n’y échapperas pas ; j’ai