Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/181

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n’ait eu son heure. Non, les aspirations continuelles, les convoitises immenses, ces désirs opiniâtres et qui tournent sans cesse dans le même cercle, tout cela ne peut pas mentir, tout cela est satisfait tôt ou tard : c’est une loi de fatalité et de logique en même temps. À peine si j’ai été riche deux ou trois fois, par soubresauts, par occasions ; je veux l’être continuellement. J’ai tellement rêvé l’opulence qu’on ne réussira jamais à me persuader que ce n’est pas là mon bien, mon héritage. Je suis plein de jours ; et les projets, les idées, les travaux, les plaisirs qui bouillonnent dans ma tête, sont faits assurément pour se manifester, se réaliser, se répandre. J’aurai ma place, j’aurai mon heure !

Cette conviction servit à le fortifier dans les épreuves qu’il eut à traverser, épreuves qui n’avaient rien de nouveau pour lui, mais qui lui étaient rendues moins supportables et plus humiliantes par la récidive. Philippe Beyle s’était, en effet, trouvé maintes fois privé d’argent ; mais alors il avait vingt ans ou vingt-cinq ans ; devant cet âge radieux, les usuriers s’inclinent comme les Guèbres devant le soleil. Il n’avait donc jamais pris en grand souci cette contrariété, toujours passagère d’ailleurs. À trente ans, il fut forcé de s’apercevoir que cette privation, surtout lorsqu’elle est prolongée, constitue un des maux dont l’humanité garde le plus de rancune aux législateurs.

Les dettes, qui sont si faciles aux jeunes gens et qui les escortent, comme un chœur enivré, les dettes qui se font rébarbatives pour les hommes mûrs. Philippe éprouva dans cette circonstance qu’on trouve plus aisément de l’argent pour l’orgie que pour l’ambition, pour les parties que pour les entreprises. L’argent ne veut pas être emprunté sévèrement, pas plus qu’une femme ne veut être courtisée avec gravité.

Il souffrit donc un peu plus qu’il ne s’y attendait et plus longtemps aussi. Nous pourrions noircir une rame de papier avec le récit de ses efforts et de se tentatives ; nous pourrions le suivre des ministères aux légations, de la Bourse au boulevard, du balcon de l’Opéra aux bals officiels et particuliers ; nous pourrions compter ses sollicitations si dégagées en apparence, ses ruses que dissimulaient des airs évaporés, ses courtisaneries toujours spirituelles. Il avait surtout l’art précieux de