Page:Monselet - Les Aveux d’un pamphlétaire, 1854.djvu/98

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laid à faire peur. La Chronique scandaleuse de 1785 le dépeint comme un boiteux et un bossu ; et l’on a peine à croire qu’il ait servi en qualité d’officier de cavalerie. C’est pourtant le titre qu’il prend dans ses livres, et le costume qu’il a adopté pour son portrait gravé.

On l’a représenté comme un importun de café, ayant toujours les poches bourrées de ses ouvrages, les colportant, les vendant lui-même, d’autres fois se donnant à loyer pour faire applaudir ou siffler les pièces nouvelles. Pénible métier pour un homme qui a eu du talent une fois dans sa vie !

On connaît ses rapports avec Voltaire ; il lui demanda de l’argent (hélas ! un autre infortuné, l’abbé Prévost, lui en avait demandé aussi, dans une lettre qui est un chef-d’œuvre de tristesse !). Voltaire en écrivit, avec sa superbe accoutumée, à l’abbé Moussinot ; car le grand philosophe, pareil à ces athées qui ne veulent que des domestiques pieux, avait pour trésorier un prêtre, un janséniste outré. La lettre de Voltaire est de 1736 et datée de Cirey :

« Il y a un chevalier de Mouhy, qui demeure à l’hôtel Dauphin, rue des Orties : ce chevalier veut m’emprunter cent pistoles, et je veux bien les lui prêter. Soit qu’il vienne chez vous, soit que vous alliez chez lui, je vous prie de lui dire que mon plaisir est d’obliger les gens de lettres, quand je le peux, mais que je suis actuellement très-mal dans mes affaires ; que cependant vous ferez vos efforts pour trouver cet argent, et que vous espérez que le remboursement en sera délégué, de façon qu’il n’y ait rien à risquer ; après quoi, vous aurez la bonté de me dire ce que c’est que ce chevalier, et le résultat de ces préliminaires. »

Le résultat de ces préliminaires fut que le chevalier de Mouhy devint le correspondant de Voltaire. Autre lettre, du mois de juin 1738, toujours à l’abbé Moussinot : « Je vous prie aussi de donner cent trente francs au chevalier de Mouhy : il m’est impossible de lui donner plus de deux cents livres par an. Si j’en croyais mes désirs et son mérite, je lui en donnerais bien davantage. Dites-lui que je suis charmé de l’avoir pour correspondant littéraire, mais que je demande des nouvelles très-courtes, des faits sans réflexions, et plutôt rien que des faits hasardés. »

Des faits sans réflexions ! voilà qui est peu obligeant pour l’auteur de la Mouche.

Le chevalier de Mouhy donna souvent prise au ridicule, et, comme Poinsinet d’innocente mémoire, il servit de plastron aux quolibets de ses confrères. Une aventure qui lui arriva sur les derniers temps de sa vie est assez originale et se détache assez de la foule des Ana pour que je la rapporte ici.

Il demeurait alors tout au haut d’une maison qui faisait le coin de la rue de l’Arbre-Sec et de la rue Saint-Honoré, vis-à-vis la fontaine. Un jour il reçut la visite de l’abbé Arnaud, de l’Académie française, plus spirituel mystificateur que glorieux